persiste plus que jamais, se propage, s’aggrave à chaque recrudescence, et il n’y a là ni influence maligne, ni action ténébreuse des partis, ni vaines paroles de journaux. S’il en est ainsi, si l’opinion reste défiante, incurablement défiante, si le pays, qui ne demanderait pas mieux que de se reposer dans une flatteuse sécurité, est incrédule, toujours prêt à s’émouvoir au moindre bruit, au moindre incident, c’est qu’il a l’instinct d’une situation, où toutes ses destinées peuvent être engagées à l’improviste, sans qu’il ait le temps de se prononcer, où même les bonnes intentions pacifiques dont on lui renouvelle périodiquement et obstinément l’assurance semblent dominées par la force des choses. L’opinion n’a pas et ne peut guère avoir cet héroïsme de confiance qu’on lui demande, parce que, si elle voit dans les apparences la paix qu’elle désire, elle voit dans les faits les conflits qu’elle redoute, elle voit la guerre peut-être comme la rançon d’une grande incohérence intérieure, et dans tous les cas comme la suite des contradictions où se débat notre politique extérieure, où vit l’Europe elle-même tout entière.
Il faut aller aux faits. Ce n’est pas d’aujourd’hui que cette situation existe, elle s’est précisée sous le coup des événemens de 1866, et depuis ce moment elle n’a cessé d’être périlleuse, parce que depuis ce moment l’opinion, surprise, déconcertée, agitée, ne sait plus au juste où elle en est, parce que le gouvernement lui-même, en présence d’une crise qui a dépassé toutes ses prévisions, hésite visiblement sur sa direction, et a l’air de ne plus savoir ce qu’il veut, de se tenir en quelque sorte à la disposition de l’imprévu. Il a peut-être une politique, il en a même plusieurs, et elles ont laissé leur trace dans ses paroles comme dans ses actions : c’est là précisément ce qui aggrave le péril en doublant l’incertitude. Si, comme il a paru le croire en certains momens, et notamment quand il écrivait la circulaire de M. de La Valette ou quand il faisait la théorie des grandes agglomérations, le gouvernement est convaincu que la transformation de l’Allemagne n’a rien de menaçant pour la France, s’il a pris son parti de la situation nouvelle créée en Europe, des conséquences de cette révolution d’équilibre, s’il est même simplement persuadé qu’il y a là une fatalité contre laquelle on ne peut rien, soit, c’est une politique à suivre et dont il faut seulement chercher à recueillir les avantages, puisqu’on en a subi les inconvéniens. Au lieu de disputer dans les détails les conséquences d’une révolution plus qu’à demi accomplie, il faut aller hardiment, franchement à l’Allemagne, et travailler à développer entre les deux peuples des sentimens de solide amitié, de cordiale émulation, qui serviraient puissamment à coup sûr la civilisation européenne ; mais alors pourquoi cette réorganisation de nos forces qui fait une nation de soldats ? pourquoi ce travail persévérant de reconstitution militaire qui fait assurément honneur au chef vigoureux qui le dirige, mais qui n’est d’habitude que le préliminaire des grandes luttes ? pourquoi se donner la tentation d’une si belle armée