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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 août 1868.

S’il y avait aujourd’hui en Europe des idées à peu près claires et des situations à peu près nettes, avec des hommes conduisant l’opinion par l’autorité de leur caractère et de leur pensée, si la politique était l’expression d’une libre et intelligente délibération des peuples, au lieu d’être une sorte de conspiration toujours menaçante de quelques volontés qui s’observent en s’enveloppant de mystère, le public, ce personnage anonyme et collectif qui passe pour plus spirituel que tous les hommes d’esprit et tous les polémistes, le public n’aurait pas tous les mois un accès de fièvre ou de crédulité effarée. Il ne vivrait pas dans ces anxiétés qui l’énervent, et qui ne s’apaisent un moment que pour se réveiller aussitôt plus cuisantes ; il saurait au moins à quoi s’en tenir, il verrait clair dans ses affaires bonnes ou mauvaises, et il ne s’épuiserait pas à deviner ce qui l’attend demain, ou dans huit jours, ou dans trois mois. Il saurait que les grands conflits ne peuvent se déchaîner ainsi à l’improviste, sans avoir subi le contrôle d’une opinion vigilante, qui a bien quelque droit à être consultée, et il ne passerait pas son temps à courir après un inconnu qu’il redoute, qu’on lui laisse entrevoir ou qu’on lui dérobe tour à tour. Il ne resterait pas en un mot absolument à la merci de ces contradictions perpétuelles entre les faits et les apparences d’où sort alternativement la paix ou la guerre, comme pour empêcher l’opinion de se fixer.

Que faut-il de plus pour inspirer la confiance que toutes les apparences actuelles et tout ce qu’on dit ? Rien assurément qui ne soit à la paix, c’est presque bucolique. L’Europe fait mieux que dormir, elle s’amuse ; elle est aux eaux et sous les ombrages. Les princes voyagent, et ce n’est pas dans une entrevue d’une demi-heure que le roi de Prusse et l’empereur de Russie ont pu sceller leur alliance offensive. M. de Bismarck, tout exprès pour notre repos, vient de faire une chute de cheval dans ses terres de Poméranie, et a besoin d’un peu de temps pour se remettre en selle