dans les rues de Flers, et le nombre de ces bruyans orchestres a dû mettre à une rude épreuve les oreilles des juges du concours.
Tous ces détails seraient sans importance, détachés du cadre qui les renfermait. Dans une petite ville qui n’était, il y a cinquante ans, qu’un pauvre village, ils prennent un sérieux intérêt. Si chacun de nos cantons était au même point, la France serait quatre fois plus riche et plus peuplée. Aucune cause locale n’expliquant cette supériorité, le même développement industriel et agricole est possible partout. Flers n’a point de grand fleuve qui lui ouvre des communications naturelles, point de chute d’eau pour alimenter ses usines ; son coton lui vient d’Amérique, sa houille d’Angleterre. Ce n’est pas d’ailleurs le seul point du département de l’Orne qui présente ce spectacle d’activité. Outre le chef-lieu, une douzaine de villes de 3,000 à 7,000 habitans et autant de 2,000 à 3,000 sont des centres industriels et agricoles importans. Même dans l’ordre ecclésiastique, c’est un des rares départemens où l’évêché n’a pas été placé au chef-lieu, il est resté dans l’antique cité épiscopale de Séez, qui n’est, comme Flers, qu’un chef-lieu de canton.
On se moque beaucoup, et quelquefois avec esprit, des comices cantonaux ; on oublie trop que là se trouve l’immense majorité du peuple français. La population de nos cantons forme les deux tiers et même, en ne déduisant que les villes principales, les trois quarts de la population nationale. La vie des grandes villes a plus d’éclat et fait plus de bruit, mais tient en réalité moins de place dans le mouvement général. Les fêtes de Flers ont été véritablement, profondément populaires. On ne peut que promettre de nouveaux progrès à ce petit Manchester normand, mais en désirant qu’il ne perde pas son caractère distinctif. Sa population peut encore s’accroître sans inconvénient ; il serait regrettable qu’elle marchât trop vite. Dès que les agglomérations industrielles dépassent une certaine proportion, le danger commence. On l’a vu tout récemment à Roubaix, la moindre suspension de travail s’est traduite en désordres formidables. L’industrie moderne a eu jusqu’ici une tendance à se concentrer dans d’immenses ateliers ; le moment semble venu où le perfectionnement continu des moyens de communication peut lui donner l’impulsion contraire. Les recherches faites à l’occasion de l’exposition universelle ont. montré que, sur beaucoup de points en Europe, notamment en Allemagne, l’activité tend à se diviser. On peut citer à nos portes un pays tout entier, la Suisse, où la vie industrielle se confond presque partout avec la vie rurale. Flers rappelle Winterthur, cette charmante ville industrielle du canton de Zurich, qui n’a même pas 10,000 habitans.
L. DE LAVERGNE.