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au-dessus du 70e degré les glaces étaient en pleine débâcle[1]. Si Wrannel dut revenir sur ses pas, c’est qu’il courait à la recherche d’une terre qu’il voulait atteindre en traîneaux ; les espaces d’eau libre qui l’arrêtaient faciliteront au contraire le passage de l’expédition française, car, ainsi que le dit M. Gustave Lambert avec une parole plus autorisée que la nôtre, c’est en appliquant dans leur intégrité les axiomes sur lesquels nous venons d’insister que le navire portant pavillon de France pourra aisément franchir les marques de Wrangel, en quittant les eaux libres de Behring pour atteindre la Polynia et de là le pôle nord.

Ce qui semble ressortir de tous ces faits, c’est qu’il existe une mer polaire libre de glaces. Ce qui paraît également certain, c’est qu’une expédition en traîneaux, comme l’a projetée M. Sherard Osborn, n’offrirait aucune chance sérieuse de réussite. Il ne reste donc qu’à discuter le choix de la route par laquelle un navire peut espérer d’arriver au pôle avec le moins de danger. Si d’abord nous jetons les yeux sur le labyrinthe d’îles, de canaux et de baies qui s’étale au nord-ouest de la mer de Baffin, le voisinage des terres et des montagnes de glaces qui s’en détachent rendrait, cette route excessivement dangereuse. « Tout navire entraîné au nord et à l’est des îles de Parry dans le bassin polaire, dit Mac-Clure, est nécessairement broyé. » Scoresby est du même avis, et le sort de tant de navires qui ont disparu dans ces terribles parages doit faire écarter toute pensée de s’y aventurer avec une expédition polaire. « Fuir les terres ! » telle doit être la devise de l’expédition. L’idée de Parry de se frayer une route à travers la banquise qui s’étend du Groenland au Spitzberg doit paraître également chimérique, si l’on se rappelle les nombreuses tentatives qui ont été faites sans aucun succès dans cette direction. Quel espoir peut-on avoir de percer une barrière de glaces de 250 milles d’épaisseur, où règnent sans cesse de terribles tempêtes ? Les mêmes objections s’élèvent contre la voie choisie par l’expédition allemande, qui va tenter l’accès du pôle entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, où Willoughby, Barentz, Hudson, Wood, Lutke, ont brisé leur énergie contre un des points les plus forts de la cuirasse polaire. Malgré la puissance du gulf-stream, tant invoqué par M. Petermann, cette banquise n’est que faiblement dissoute, et même pendant l’été les glaces s’y étagent sur une profondeur qui n’a pu encore être déterminée. En outre, s’il est vrai que quelques vaisseaux se sont jadis aventurés au-delà du 82e degré, ce n’est qu’au hasard d’une débâcle exceptionnelle qu’il faut attribuer ce succès, car ces côtes de la Nouvelle-Zemble, où en 1839 la Recherche pénétrait assez profondément, avaient été, nous dit M. Charles Martins, inabordables pendant plusieurs étés.

  1. Wrangel cite les observations analogues de Tatarinoff, d’Hedenstrom, d’Anjou, de Léontieff, et conclut à l’existence d’une Polynia permanente, ou mer ouverte, qui commence au nord-Ouest des îles Kotelnoy et se dirige vers le sud-est jusqu’au cap Yakan.