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qui avait pris part au voyage de Kane en qualité de médecin, trouva moyen en 1861 d’armer une nouvelle expédition arctique. Mieux équipé, il alla hiverner à Port-Foulk, et le 3 avril il quitta son navire pour traverser en traîneau le détroit de Smith. Parvenu au milieu du canal, il se vit forcé de renvoyer son équipage épuisé pour ne garder avec lui que trois compagnons éprouvés. Tandis que le gros de l’expédition regagnait lentement sa demeure flottante, nos courageux pionniers, quittaient le détroit, et remontaient au nord en longeant la côte sur un champ de glaces marines. Le 18 mai, par 82° 30’ de latitude, à 825 kilomètres du pôle, Hayes aperçut devant dur une vaste nappe d’eau. « Tout me démontrait, dit-il, que j’avais atteint les rivages du bassin polaire, et le large océan s’étendait à mes pieds. » A quelque distance, en avant, les vaguas battant la côte faisaient rapidement disparaître les glaces qu’elles brisaient. Ce fut là que le Dr Hayes déploya l’étendard national, et pendant quelques heures laissa flotter au gré des vents les trente-trois étoiles de l’Union. Il fallut bientôt songer au retour. Après avoir baptisé du nom de cap Union cet avant-poste du monde, Hayes revint à Port-Foulk. Telles sont les observations précises et dignes de foi qui assurément ne permettent plus de nier l’existence d’une mer libre au nord-ouest du Groenland, au moins, durant une certaine partie de l’année.

Avant les découvertes de Morton et de Hayes, les navigateurs russes avaient déjà trouvé une mer ouverte au nord de la Sibérie. Hedenstrom l’avait aperçue pour la première fois en 1808. De 1821 à 1823, Wrangel et Anjou purent déterminer plusieurs points du rivage de la mer polaire. Resté longtemps dans l’oubli, ce voyage acquiert aujourd’hui une importance capitale pour l’appréciation du projet français, parce qu’au détroit de Behring, la connaissance exacte de la nature et des limites de la banquise est du plus haut intérêt. En effet, l’insuccès des expéditions en traîneau fait concevoir la possibilité d’une tentative navale et a permis à M. Gustave Lambert de formuler ces deux axiomes de tout navigateur boréal : « fuir les terres, » et « là où l’on ne passe pas en traîneau, on passe en navire. » C’était le 26 mars 1821 que pour la première fois la petite troupe d’élite commandée par Wrangel s’engageait dans la direction du nord. Depuis quelques jour, sur une plaine presque unie, la caravane s’était avancée rapidement, lorsqu’au 70e degré 53’ la neige, devenue humide et salée, fit pressentir le voisinage de la mer libre. Plus loin, le mercure du thermomètre commençai de monter ; il atteignit le 1er avril 4° au-dessous de zéro. Là, les polynias ou flaques d’eau libre devinrent si nombreuses, qu’il fallut faire de grands et fréquens détours. Ayant ainsi atteint le 71e degré 11’, Wrangel fut obligé de revenir au sud. La glace, de cinq pouces d’épaisseur, était tellement ramollie qu’elle n’offrait plus aux traîneaux qu’une faible résistance. Quelques jours après, on essaya encore de remonter au nord ; mais le 7 avril l’expédition se vit définitivement obligée de renoncer à une lutte impossible et de regagner la