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fusion plus ou moins complète des glaces formées pendant la longue nuit de l’hiver.

M. Gustave Lambert est parvenu à construire une courbe figurative de la puissance d’insolation pour les divers lieux de la terre et les différens jours de l’année[1]. En examinant la marche et les inflexions de cette courbe, il a constaté qu’au moment du solstice (21 juin) le pôle nord doit recevoir en vingt-quatre heures une quantité de chaleur supérieure d’un cinquième à celle que reçoit au même moment un point situé sous le tropique du Cancer. Dans ce calcul, on ne tient pas compte de l’absorption atmosphérique, dont l’influence est beaucoup plus forte au pôle, où le soleil est très bas, que sous le tropique, où il s’élève très haut à l’heure de midi ; la perte que les rayons subissent en traversant les couches inférieures de l’atmosphère modifie nécessairement le résultat auquel on arrive en considérant simplement la position du soleil par rapport à l’horizon polaire. On peut néanmoins affirmer que la chaleur d’été est beaucoup plus considérable au pôle qu’on ne l’admet communément, et dans tous les cas qu’elle est plus que suffisante pour expliquer la fonte des glaces au-delà du 84e ou du 85e parallèle de latitude. L’existence d’une mer ouverte au pôle boréal est encore rendue probable par la considération des courans que les navigateurs rencontrent dans ces parages. Les courans polaires sont assez nombreux. Du côté ouest du Groenland, un premier courant se dirige au sud-est et va accumuler les glaces dans les détroits de Banks, de Mac-Clintock, de la Reine-Victoria. La direction de cette masse considérable d’eau est du reste prouvée d’une manière irrécusable par le transport du vaisseau le Resolute, qui fut retrouvé dans le détroit de Davis en 1855, lorsque Kellett l’avait abandonné en mai 1854, à 1,000 milles de là, dans le nord, près du cap Cockburn. Au détroit de Behring, un courant très vif, qui longe les côtes de l’Asie, paraît offrir un caractère semestriel ; il va tour à tour du sud au nord et du nord au sud. Le troisième courant descend du nord au sud entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble ; la force d’impulsion de ces eaux est telle qu’elles brisent parfois la banquise, ce qui facilite la navigation de ces parages. Le vaste espace de mer compris entre la côte ouest du Spitzberg et le Groenland livre également passage à un courant qui rompt les glaces en les empêchant toutefois de fondre. C’est ce courant qui en 1827 entraînait la banquise sous les pieds de Parry, et ne lui permettait pas, malgré des efforts surhumains, de dépasser le 82e degré. Tous ces fleuves polaires semblent provenir directement d’un vaste réservoir, d’une mer qui entoure le pôle boréal. Dans les régions australes, les courans semblent au contraire affecter des directions circulaires et contourner les banquises, ce qui fait supposer l’existence d’un continent au pôle sud.

  1. Lois de l’insolation ; Comptes-rendus de l’Académie des Sciences du 28 janvier 1867.