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lieu de s’abaisser d’une manière continue jusqu’au pôle, y est au contraire plus élevée que sous le cercle polaire, c’est-à-dire à 67 degrés environ de latitude. Il en résulterait la possibilité de rencontrer au pôle même une mer libre entourée d’une barrière de glaces qui ne se ferme complètement que pendant les mois les plus froids de l’hiver. Ensuite l’examen attentif des courans polaires et des glaces qu’ils charrient vient confirmer d’une manière éclatante cette hypothèse d’une vaste mer ouverte roulant ses flots autour du pôle boréal. Les récits d’Hedenstroem, de Wrangel, d’Anjou, qui ont vu une immense nappe d’eau libre au nord de la Sibérie, les rapports de Morton et du docteur Hayes, qui ont rencontré une mer ouverte au nord du détroit de Smith, prennent dès lors une signification tout à fait claire et précise, qui permet à peine de conserver un doute sur la réalité d’une mer polaire.

On sait depuis longtemps que la température d’un lieu n’est pas réglée simplement par la position qu’il occupe entre l’équateur et le pôle ; c’est ce que prouvent les isothermes, ou lignes d’égale chaleur, qu’Alexandre de Humboldt nous a appris à tracer sur les cartes du globe. Il en résulte que les pôles, ou les points où aboutit l’axe de rotation de la terre, ne sont pas nécessairement les points les plus froids. Dès 1821, sir David Brewster a conclu de la marche des isothermes l’existence de deux pôles du froid situés l’un en Sibérie, l’autre dans l’Amérique du Nord ; la température moyenne doit donc être sensiblement plus élevée au pôle proprement dit que dans quelques points du cercle polaire. En 1864, un illustre géomètre italien, Plana, soumit au calcul la distribution de la chaleur solaire à la surface de la terre, et démontra qu’à partir du cercle polaire la température moyenne doit augmenter jusqu’au pôle, résultat qu’il était difficile de prévoir théoriquement, quoiqu’il soit d’accord avec le témoignage des observations. Plus récemment, M. Gustave Lambert est arrivé lui-même à une conclusion analogue en cherchant les lois d’après lesquelles l’insolation, ou la quantité de chaleur fournie par le soleil, doit varier d’un lieu à l’autre aux différentes époques de l’année.

La quantité de chaleur que reçoit à un moment donné un point de la terre dépend de l’obliquité des rayons, elle s’accroît à mesure que le soleil s’élève ; mais lorsqu’on veut apprécier l’effet que le soleil peut produire pendant une période plus ou moins longue, il ne suffit pas de considérer la direction des rayons : il faut encore tenir compte de la longueur relative des jours et des nuits. Le rayonnement nocturne fait perdre au sol une notable partie du calorique qu’il a absorbé pendant le jour, et il en résulte que la longueur des nuits peut contre-balancer jusqu’à un certain point les effets de journées très chaudes. Or au pôle le soleil, pendant six mois, ne se couche point, la chaleur qu’il verse s’accumule et se concentre incessamment pendant cette longue journée de plus de cent quatre-vingts jours. On conçoit donc que vers le milieu de l’été la température polaire puisse atteindre un degré plus que suffisant pour amener la