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moins dangereuse qu’au détroit de Smith. Sur cette route, on serait certain, dit-il, de trouver la mer libre au-delà des 83e et 84e degrés. A l’appui de cette assertion, il cite les légendes de quelques baleiniers hollandais qui auraient navigué sur cette mer. Là n’est pas, il faut l’avouer, le côté sérieux de l’argumentation du célèbre géographe de Gotha, car quelques-uns de ces mêmes baleiniers, pour être plus sûrs d’avoir atteint le pôle, prétendirent aussi l’avoir dépassé de quelques degrés.

Grâce aux efforts incessans du docteur Petermann, l’expédition allemande est partie de Bergen, en Norvège au mois de mai dernier, sous le commandement du capitaine Ch. Koldewey. Le lieutenant s’appelle Hildebrandt ; un pilote et treize matelots brêmois composent le reste de l’équipage. Le vaisseau, qui porte le nom de Germania, ne jauge que 80 tonneaux, il est tout neuf, on l’a acheté et armé à Bergen. Cette expédition modeste, mais animée d’une volonté forte, doit chercher à atteindre d’abord la côte orientale du Groenland, au-delà du 74e degré de latitude nord, relâcher à l’île Sabine, puis suivre la côte pour entrer dans la mer polaire et sortir, si c’est possible, par le détroit de Behring, qui sépare l’Amérique de la Sibérie. Si l’expédition ne pouvait pénétrer au-delà du Spitzberg, elle entreprendrait des recherches d’exploration dans la terre de Gillis, située plus à l’est ; la Germania emporte des vivres pour un an. A la fin de juillet, on a eu des nouvelles de cette expédition ; le navire était engagé dans un champ de glaces et complètement arrêté dans sa marche, comme on aurait pu s’y attendre. Depuis peu, une expédition suédoise est également partie à la recherche du pôle en suivant la route que Parry a indiquée en 1827. Ne serait-il pas temps de faire un dernier effort pour permettre à l’expédition française de hâter son départ ? Nous allons exposer les chances de réussite que paraît offrir le projet français et expliquer les raisons qui justifient le choix de la route par laquelle M. Gustave Lambert se propose de tenter l’accès du pôle boréal.

M. Lambert, hydrographe et navigateur, ancien élève de l’École polytechnique, a déjà visité les parages où il veut conduire l’expédition qu’il prépare. Parti du Havre à bord d’un navire armé pour la grande pêche le 12 juillet 1865, il passait le détroit de Behring pour s’avancer jusqu’au 72e degré de latitude nord, et pendant trois mois, au milieu des banquises, il a pu étudier sur place le redoutable problème qu’il veut aujourd’hui affronter. M. Gustave Lambert a fixé son choix sur une voie par laquelle il n’a encore été fait qu’une tentative, celle de Cook. Au mois de juillet, c’est-à-dire à l’époque de la grande débâcle des glaces dans les régions polaires, franchissant le détroit de Behring, il doublerait à l’ouest le cap Serdze et le Cap-Nord de Cook, pour s’engager entre les glaces flottantes, pénétrer dans la Polynia ou mer libre, et de là cingler vers le pôle. Les considérations sur lesquelles se base ce projet sont de deux sortes. D’abord une série de faits constatés par l’observation ou déduits de la théorie porte à croire que la température moyenne, au