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mystère pour nous. Plusieurs projets d’expéditions polaires ont été sérieusement proposés et discutés dans ces dernières années. Les lecteurs de la Revue se rappellent encore l’exposé que M. Charles Martins[1] a donné du projet anglais, dont le capitaine Sherard Osborn était le principal promoteur, et de celui du savant géographe allemand A. Petermann, lequel vient enfin d’obtenir un commencement d’exécution. Nous nous bornerons à les résumer brièvement, avant d’exposer les considérations sur lesquelles se base M. Gustave Lambert pour choisir une autre voie et d’autres moyens.

Pour le capitaine Osborn, le pôle nord est une immense calotte de glaces interrompues çà et là par des crevasses accidentelles qui se ferment complètement à l’approche des grands froids. Les vastes espaces d’eau libre que Morton et Hayes ont rencontrés dans le nord-ouest, la mer polaire signalée par l’amiral Wrangel au nord de la Sibérie, n’existeraient donc qu’à certaines époques, et il n’y aurait, pour atteindre le pôle, d’autres chances sérieuses que celles qu’offrirait une expédition en traîneaux, tentée pendant la saison d’hiver. Partant d’un port d’Angleterre avec deux vaisseaux et cent vingt hommes d’équipage, le capitaine Osborn laisserait un de ses navires et vingt-cinq matelots au cap Isabelle, pendant qu’avec les autres il atteindrait le cap Parry. Assuré d’avoir ainsi un refuge en cas de désastre, il choisirait les plus courageux et les plus éprouvés de ses compagnons pour se mettre en route vers le milieu de février. L’espace qui sépare le cap Parry du pôle est de cinq cents milles, ce qui fait environ mille milles aller et retour ; c’est cette longue distance que le capitaine Osborn prétend franchir en soixante journées, dans une marche de dix milles par jour. Ce projet, d’abord favorablement accueilli par l’amirauté anglaise, perdit beaucoup de partisans du jour où le docteur Petermann vint le combattre en lui opposant un second projet, basé sur l’existence probable d’une mer libre autour du pôle. Sans cette intervention, qui eut pour résultat de partager les marins anglais en deux camps, le projet de Sherard Osborn eût été peut-être mis à exécution.

M. Petermann, comme nous l’avons dit, croit à une mer polaire libre. Selon lui, l’idée d’aller au pôle en traîneau doit être complètement écartée ; une pareille expédition aurait toujours le sort de celle que Parry tenta en 1827 ; on sait que la glace fuyait sous lui et le ramenait au sud pendant qu’à grand’peine il s’avançait dans la direction du nord. M. Petermann est donc d’avis qu’on ne peut atteindre le pôle que par mer, au moment de la débâcle des glaces. En suivant la direction du gulf-stream, courant d’eaux chaudes qui doit contourner le nord de l’Europe, il veut que l’on lance les vaisseaux de l’expédition entre les glaces flottantes du Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, parce que de ce côté la banquise est

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1866.