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l’extrême mérite de l’ouvrage et le jugement favorable, mais très mesuré, que le critique en avait porté » (n° du 18 juin 1825). — Ampère se remit au pas dans un autre article du 9 juillet suivant. J’en tire seulement cette conclusion, que dans la critique des œuvres contemporaines, par bon goût peut-être, par discrétion et aussi par une sorte de compromis secret entre les diverses écoles, Ampère ne sut jamais apporter cette vigueur décisive qui tranche les hésitations, qui fait saillir les caractères (qualités et défauts), et qui classe non-seulement l’œuvre et l’auteur en question, mais le critique lui-même. Très vif et tout feu en causant, il n’osait qu’à demi sur le papier. Aussi n’a-t-il jamais mordu sur le public proprement dit : il se contentait du suffrage des salons, et dans la rénovation littéraire qui s’opérait, il ne donna au dehors aucun grand signal.

Il était davantage dans ses tons en présentant une analyse et un jugement excellent des œuvres dramatiques de Goethe (29 avril et 20 mai 1826), Ce travail attira naturellement l’attention de Goethe, qui avait pris le Globe en singulière estime. Dans une lettre du 12 mai, c’est-à-dire dans l’intervalle du premier au second article, le grand poète en écrivait au comte Reinhard :


« Que ces messieurs du Globe soient bienveillans pour moi, cela est justice, car moi je suis vraiment épris d’eux. Ils nous donnent le spectacle d’une société d’hommes jeunes et énergiques jouant un rôle important. Je crois apercevoir leurs buts principaux ; leur manière d’y marcher est sage et hardie. Tout ce qui se passe en France depuis quelque temps excite vraiment l’attention et donne des pensées que l’on n’aurait jamais conçues. J’ai été heureux de voir quelques-unes de mes convictions intimes, et renfermées dans mon être intime, exposées et commentées suffisamment… Un article (de M. Ampère) sur la traduction de mon théâtre m’a fait grand plaisir. Je vois maintenant ces pièces d’un tout autre œil qu’au temps où je les ai écrites, et il est pour moi bien intéressant de constater l’effet qu’elles produisent sur une nation étrangère et dans une époque dont les idées sont tout autres. Mais ce qui me plaît surtout, c’est le ton sociable de tous ces articles : on voit toutes ces personnes penser et parler au milieu d’une compagnie nombreuse ; au contraire, en Allemagne, on reconnaît à la parole du meilleur d’entre nous qu’il vit dans la solitude, et toujours c’est une seule voix que l’on entend. »


Goethe revint souvent en ces années sur ces articles d’Ampère à son sujet ; il les traduisit en allemand ; il disait[1] :

  1. Conversations de Goethe et d’Eckermann ; voir l’entretien du jeudi 3 mai 1827. Traduction de M. Émile Délerot, t. Ier, p. 352.