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partie a été léguée sous forme de dotation à l’ancienne église catholique, et elle ne s’est point fait scrupule de s’attribuer ce patrimoine, se regardant sans doute comme la plus digne de succéder aux beaux temps du christianisme et la plus capable de faire un usage judicieux de telles richesses. A part ceux qu’on dépouillait, nul ne s’est plaint en Angleterre de cette mesure. Une obéissance servile qui s’attacherait trop à la lettre de tels contrats et en oublierait l’esprit tendrait à faire des trépassés les arbitres souverains à perpétuité de la destinée des vivans. Tout ce que demandent en pareil cas le bon sens et la justice, c’est que la destination du legs se rapproche le plus possible de la volonté du légataire. Il y aurait par exemple détournement des fonds attribués à l’église établie en Irlande par d’anciens bienfaiteurs, si ces fonds étaient employés par l’état à fondre des balles ou à couler des canons. Le clergé protestant aurait alors quelque raison de crier au sacrilège, non que l’argent ait par lui-même rien de sacré, mais parce que l’intention des fondateurs aurait été brutalement méconnue. Tous ceux qui anciennement ont laissé des dons à l’église avaient très certainement en vue la culture intellectuelle de la nation irlandaise. N’est-ce point alors favoriser leurs desseins que de consacrer aujourd’hui à l’instruction publique le fruit de leur générosité ? Aussi telle est la voie que se propose de suivre le parti libéral.

Quoique les tories ne se soient jamais expliqués clairement à cet égard, on a prêté un instant à leur chef, M. Disraeli, la velléité de rétribuer le clergé catholique en Irlande. On aurait alors deux églises d’état, dont la seconde présenterait tous les inconvéniens de la première sans en offrir les avantages. Un clergé salarié est d’ailleurs absolument contraire aux idées et aux usages de nos voisins. L’opinion publique s’avance depuis quelque temps dans une direction tout opposée. Une société de libres esprits qui s’intitule elle-même libération society demande ouvertement la séparation de l’église et de l’état. C’est même de ce côté, s’il faut en croire l’évêque d’Oxford, que partiraient les attaques contre l’ordre de choses établi en Irlande. N’osant point assiéger de front la citadelle, ces habiles stratégistes auraient pris une voie détournée pour surprendre un des bastions les plus avancés de la puissance cléricale. M. Gladstone et ses amis renient pourtant toute participation avec ces doctrines. Suivant eux, une église d’état peut être bonne ou mauvaise selon les lieux, les temps et les conditions sociales. Elle est mauvaise en Irlande, où elle ne rallie qu’une minorité insignifiante, et où elle fournit aux mécontens un sujet éternel de récriminations contre le gouvernement. Sur un tout autre théâtre de faits, elle a rendu et rend encore des services, oppose une barrière