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quelques signes extérieurs : dans les séances ordinaires, les pairs laïques portent leurs habits de ville, tandis que les évêques se montrent toujours revêtus de leur rochet et des autres ornemens de leur ordre. L’élément spirituel, quoique beaucoup réduit de ce qu’il était dans les anciens parlemens, joue encore un rôle très considérable. Ce n’est pas tant le nombre des évêques au sein de l’assemblée, c’est l’alliance intime du principe religieux et de l’aristocratie anglaise qui constitue leur force. Cette alliance est écrite dans les usages de la pairie et jusque dans le caractère même de la salle où se tiennent les séances. Est-ce une chapelle ? On le dirait presque au jour mystérieux que versent les vitraux, au ton sévère des peintures. Une cérémonie qui a souvent lieu le matin complète l’illusion. Le public alors n’est point admis dans la salle ; mais, grâce à une faveur spéciale, quelques étrangers obtiennent de se glisser dans un corridor, d’où à travers un treillis doré ils perçoivent une scène assez significative. Vers dix heures et demie, précédé de trois assistans dont l’un porte la masse (mace-bearer), l’autre la bourse (purse-bearer), et dont le troisième accompagne seulement, entre le lord-chancelier. Il s’avance vers le fameux sac de laine[1] qui se trouve placé en face du trône, et à côté duquel l’un des évêques (ordinairement le plus jeune) attend pour commencer l’office. Les assistans déposent sur le banc la masse, le grand sceau de l’état, puis se retirent dans un coin près de la porte qui conduit à la chambre du prince, prince’s chamber. L’évêque et le chancelier s’agenouillent les mains jointes devant le sac de laine et récitent à demi-voix des prières que répètent mentalement trois ou quatre lords dispersés dans la salle. Le spectacle est édifiant, mais qu’il est loin de nos mœurs !

Ces deux institutions, l’église et la pairie, ont entre elles des intérêts communs qui les rapprochent. L’une et l’autre ont traversé des épreuves qu’elles n’ont point oubliées. A l’époque de la lutte entre Charles Ier et le parlement d’Angleterre, la chambre des lords sombra dans le naufrage de l’épiscopat et de la monarchie. Ce fut la chambre des communes qui prit bravement en main la direction suprême des affaires. Seule elle osa déclarer qu’un roi se rendait coupable de trahison quand il attentait à l’existence de son parlement, et, après avoir institué une cour de justice pour le procès de Charles Ier, elle soumit, selon l’usage, sa décision à la chambre des lords. Seize pairs du royaume se trouvèrent présens à cette séance mémorable ; c’était beaucoup, car depuis quelque temps, sachant

  1. C’est un symbole de l’esprit commerçant de l’Angleterre, un hommage rendu à l’industrie des laines, qui a été la première source de la richesse nationale. Il parait d’ailleurs qu’autrefois on se servait volontiers de balles de laine en guise de sofa.