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et les rondes-bosses. Le choix des sujets a été naturellement dicté par les traditions et les sympathies de la noblesse anglaise. Ce sont l’Esprit de chevalerie, la Religion, l’Esprit de justice, le Baptême d’Éthelbert, le Prince Noir recevant la jarretière des mains d’Édouard III, Henri, prince de Galles (plus tard Henri V), envoyé en prison par le juge Gascoigne et reconnaissant l’autorité de la loi[1]. A quoi servirait d’ailleurs de décrire toutes les décorations de cette somptueuse demeure, home ? Des blasons, des écus, des bannières, quelques-uns des fabuleux animaux de la création héraldique taillés dans le bois ou le métal, mille accessoires, mille couleurs qui se heurtent les unes les autres comme dans un vaste kaléidoscope. Certes l’architecte et les artistes de talent qui l’ont aidé dans son œuvre n’ont épargné ni leur temps ni l’argent de l’état pour faire parler ces murs, et néanmoins il ne s’en dégage aucune idée précise. Si j’en crois les termes du programme, on a voulu exprimer par des signes extérieurs le type de l’aristocratie anglo-saxonne. L’intention était excellente, je me demande seulement jusqu’à quel point elle a été exécutée avec succès. Est-ce la richesse de la pairie du royaume qu’on s’est proposé en quelque sorte de jeter aux yeux ? Est-ce d’un autre côté une invitation qu’on lui adresse de se complaire dans les splendeurs évanouies de la féodalité ? Ces deux points de vue ne seraient nullement sérieux. N’aurait-il pas mieux valu indiquer que, tout en défendant ses prérogatives, la noblesse britannique sait s’identifier, quand il le faut, à l’esprit et aux conditions de la société moderne ?

Un vieil usage veut que les pairs en entrant dans la salle se tournent vers le trône et le saluent, comme si le souverain y siégeait en personne. Cette coutume rappelle du moins l’origine de la chambre des lords. C’était le conseil du roi, présidé par lui-même et composé des barons dont les domaines se trouvaient places sous

  1. C’est le même dont les aventures de jeunesse, le caractère farouche et les mœurs déréglées appelèrent l’attention de Shakspeare. Il en fit le héros de trois drames historiques. Le trait auquel la fresque se rapporte a été raconté de manières fort différentes par les chroniqueurs ; entre ces versions, l’artiste a choisi celle qui pouvait contenir une leçon utile. Le prince avait un serviteur favori qui venait d’être traduit devant la barre de King’s Bench. À cette nouvelle, il se rendit en grande colère au tribunal, et ordonna que le prisonnier fut mis en liberté. Tout le monde tremblait, à l’exception du juge, qui protesta au nom des lois du royaume. Le prince, exaspéré, essaya de délivrer lui-même son serviteur : on crut un instant qu’il allait tuer ou frapper le magistrat. Celui-ci, calme, immobile sur Bon siège, lui adressa gravement la parole : « Je tiens ici, lui dit-il, la place du roi votre père, et en son nom je vous somme de donner le bon exemple à ceux qui seront un jour vos sujets. Pour punir votre désobéissance, je vous envoie a la prison de King’s Bench, « Et le prince, jetant son arme, alla se constituer lui-même prisonnier.