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devant vous, comme ils virent eux-mêmes, une vaste prairie qui s’étend de Dornach à Arlesheim, un admirable champ de bataille pour y vider la querelle de deux nations. Tous les combats qui ont décidé de la nationalité des Suisses se ressemblent : toujours c’est un ennemi qui ne connaît pas ou qui dédaigne les dangers du terrain, toujours ce sont des confédérés qui s’approchent des étrangers sans en être aperçus, se logent dans son voisinage, suivant l’expression de Comines, grimpent le long de quelque hauteur et tournent l’ennemi ; toujours enfin il y a derrière celui-ci un lac ou une rivière dans lesquels ils le culbutent ; les belles eaux limpides de ce pays ont régulièrement servi de tombe à tous ceux qui ont voulu l’asservir. Ici c’était la rivière de la Birs, qui avait déjà quelques lieues plus bas servi de témoin à la bataille de Saint-Jacques, d’où Louis XI s’était retiré humilié et réellement battu, quoique vainqueur. Ce jour-là, comme les Bourguignons à Granson. L’armée allemande, croyant les Suisses bien loin, se livrait à toutes les fantaisies du soldat en goguette. Une chanson parle des cuisines que l’on voyait établies çà et là, des marmites que les valets écumaient, d’un cuisinier même qui est surpris par le combat et qui s’écrie : « Malheur ! malheur ! je ne ferai plus le dîner du lansquenet, je n’ai pas même haché mes herbes… Il n’avait pas fini de parler qu’on lui sala pour tout jamais son souper. » Comme à Granson, les Suisses marchent au combat en silence, à pas de loup, passant sous des bouquets de bois et sous les vergers, pliant le genou dans le chemin creux pour faire leur prière, tandis qu’ils entendent les éclats de rire et les cris de joie qui retentissent chez leurs ennemis les Souabes. Comme à Granson enfin, l’alphorn au milieu de la bataille encore indécise annonce l’arrivée des cantons forestiers : les Suisses reprennent force et courage, les ennemis à ces sons redoutables lâchent pied, la déroute commence, le succès de la journée n’est plus douteux.

Dans cette bataille de Dornach, la Suisse est définitivement délivrée des lansquenets, des reîtres, des seigneurs plus ou moins pillards. De nouveaux cantons de langue allemande ou française deviennent des confédérés ; la Suisse est maîtresse chez elle et ferme sa porte. Suivant une expression de notre temps, la Suisse était faite. Bâle fut admise dans la confédération, et il fut remarqué qu’à l’entrée des députés des cantons la jeunesse de la ville cria : « Ohé la Suisse ! » Ce nom, pour désigner le pays, était nouveau, et parmi les ballades que nous avons lues, c’est dans le Schwabenlied qu’on le rencontre pour la première fois. Une nation nouvelle était créée, libre, fière et sans crainte pour son avenir, k partir de ce jour, Bâle, comme si elle n’avait plus rien à redouter, ouvrit ses