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landmänner, hommes de la campagne ; leurs voisins leur donnaient le nom de bauern, travailleurs des champs, journaliers, c’est-à-dire misérables. Les bauern acceptèrent l’injure, comme plus tard les gueux de la Flandre, et ils plumèrent le paon orgueilleux. Leurs ennemis accumulaient contre eux les outrages. Dans une chanson sur la bataille de Dornach, les Allemands imitent le beuglement des vaches, et les Suisses irrités en tirent bonne vengeance. Ailleurs un lansquenet blessé insulte à ses vainqueurs en répétant le mugissement dérisoire, et ceux-ci lui font subir un affreux traitement, qui est réservé, disent-ils, aux mauvais taureaux. Toutes les bouffonneries, toutes les médisances grossières ou infâmes que les Zuricois avaient autrefois dirigées contre les bons amis des vaches sont renouvelées par les Souabes et les Autrichiens. La haine entre jusque dans l’église et travestit la religion des deux partis. « Tout un village de Souabe, dit le Schwabenlied, a pris un nouveau crucifix ; il l’a baptisé et il lui a parlé ainsi : Tu es un Dieu nouveau, soutiens notre cause, bats l’ennemi et fais fuir les Suisses. » Et le poète ajoute qu’il en peut venir de ces Christs nouveaux tant qu’on voudra, pourvu que la Suisse ait pour elle l’ancien et le véritable. La croix blanche était le signe de ralliement de ses concitoyens, la rouge celle des Souabes. Tantôt ils blasphémaient à l’envi contre la sainte image quand elle portait la couleur ennemie, tantôt ils en changeaient la couleur. Il arriva aux Souabes de menacer non-seulement les Suisses, mais le Dieu que ceux-ci invoquaient ; ils prétendaient allumer un tel incendie dans le pays des ignobles paysans que leur vieux Dieu, der alte Gott, quand même il serait assis sur l’arc-en-ciel, aurait les yeux aveuglés par la fumée et les pieds tellement incommodés de la flamme qu’il serait contraint de les tirer à lui. Souabes et Suisses formaient deux ligues, l’une des villes, l’autre des campagnes, et la haine qu’ils se portaient était si visible qu’elle a été remarquée par Comines[1]. Cette haine, Maximilien la mit à profit. « Il s’avisa d’un moyen, dit la chanson, et forma une ligue avec l’empire et avec les villes de Souabe ; on promit aux soldats une forte paie, on promit de l’or, de l’argent et de bons lits. » Tout ce qui devait hommage à l’empereur envoya son contingent, ce fut toute l’Allemagne soulevée contre des paysans qu’on appelait des sauvages et des impies. « Les princes, dit la ballade de Schwaderloch, ont marché impétueux et menaçans contre le pays des Suisses. Ils se sont donné rendez-vous à Constance. » Ces princes sont le duc de Bavière, le margrave de Brandebourgs le comte de Wurtemberg. Autrichiens, Hongrois, Danois, Polonais,

  1. Mémoires, liv. VIII, chap. 21.