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helvétique, achevant cette ébauche des origines d’une nation, et interrogeant tour à. tour l’accent de la poésie populaire et l’aspect des lieux.


III. — LA PETITE NATIONALITE SUISSE.

La confédération n’avait désormais rien à craindre de la Bourgogne et de la Savoie. Plus de danger de ce côté, les gorges et les vallées du Jura cessaient d’être des portes ouvertes sur la Suisse : la destruction du grand duc Charles et l’alliance de la France les fermaient mieux que les chaînes de fer qui avaient servi à les barrer. Ayant assuré sa clôture de l’ouest et du midi, la Suisse va se retourner vers l’est et le nord. Ses voisins de ce côté, qui l’ont aidée à élever son mur contre les Welsches, ne tardent pas à lui fournir l’occasion de le prolonger entre elle et l’Allemagne. Elle les repousse partout où ils se présentent, et cette fois son rempart est terminé et complété sans le secours de personne, si ce n’est de la France, qui donne de l’argent et prête des armes.

Ici encore la vue des localités, comme l’accent des ballades, explique et anime les faits dont le sens et la vie échappent quelquefois dans les livres. On a vu que le sentiment national allemand ne combattait pas avec moins d’énergie que l’amour de la liberté à Granson et à Morat ; si les historiens n’ont montré dans ces journées fameuses que la lutte idéale et classique d’un peuple pauvre et républicain contre la tyrannie, c’est que les idées de leur temps ont altéré pour eux la physionomie de ces anciens combats. La dernière guerre des Suisses contre l’Autriche, dont nous allons nous occuper, a eu le même sort. Les livres en ont effacé le caractère, mais les chansons en raniment et rafraîchissent les vraies couleurs. Elles nous jettent dans la mêlée des batailles, où nous distinguons les cris opposés de deux peuples différens ; elles nous font assister au déchirement définitif qui sépare la petite nation de la grande. « Je suis un vieillard du pays des Grisons, et je veux vous dire une chanson sur le roi des Romains, qui est venu prêter main-forte à nos ennemis ; il reprit les anciennes menées de sa maison pour mettre les Suisses en captivité. Il avait entendu cette leçon de son aïeul ; son père lui avait toujours répété qu’il devait, tant qu’il serait dans cette vie, employer les forces de son empire pour donner un maître à cette confédération. »

Tel est le début du Schwabenlied ou chant de la guerre de Souabe ; telle est aussi l’origine de la lutte suprême. Les confédérés se trouvaient sur le chemin de l’empereur Maximilien, ou plutôt du roi des Romains, car ce prince, qui était destiné à n’obtenir