Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand tribunal ? — Faut-il que je monte ces degrés, disait-il, et que j’entende mon jugement ? Oh ! puissé-je être encore parmi les miens ! »


A Héricourt, à Pontarlier, à Blamont, la ligue allemande et suisse agit comme un seul corps, combattit comme un seul peuple. Une chanson sur le combat de Héricourt énumère les alliés qui firent la campagne contre les Bourguignons, contre leurs amis de la Savoie et contre les mercenaires de la Lombardie. On y voit les soldats de Strasbourg et de Schelestadt avec leur vêtement rouge, ceux de Colmar en rouge et bleu ; ceux de Kaisersberg portent tous également un même habit, Brisach et tout ce qui est entre Bâle et Strasbourg a aussi son uniforme. Le bleu et le blanc distinguent les hommes de Villingen en Souabe, ceux des villes de la Forêt-Noire portent le noir costume que nous leur voyons encore les jours de fête, costume allégorique et national ; les hommes blancs et verts sont venus de Lindau, de l’autre côté du lac de Constance. Meinstett, Rothwyl, Schaffhouse, qui n’était pas encore Suisse, Constance, Ravensburg, nombre de villes de Souabe et d’autres provinces figurent dans les rangs. Toute la Suisse et une bonne partie de l’Allemagne sont venues au rendez-vous contre le duc welsche. Welsche signifie étranger parlant une langue que nul ne comprend. L’empire, la chrétienté même, pour les peuples de l’autre côté du Rhin, c’était tout ce qui parlait l’allemand ; le reste était welsche. Or le reste était le voisin, c’est-à-dire le Gaulois ou Français, le Français de Bourgogne, de Franche-Comté, de Savoie, de Lorraine, de Picardie, d’Artois, de Belgique. Toutes ces provinces plus ou moins dans la main du Téméraire composaient déjà un empire occidental pour ce prince, qui avait dans ses armes un lion grimpant à une montagne. Déjà il y atteignait, et, désormais enfermés par lui, « nous n’aurions pu saillir que par mer, » dit Comines ; mais Louis XI, qui avait mis dans ses armoiries un cerf ailé, courait en effet comme un cerf le long de ce rempart où le Téméraire prétendait l’étouffer. Sans le combattre lui-même, il lui suscitait des guerres de tous côtés ; il semait l’argent, il nouait des alliances, il ourdit enfin la vaste conspiration du Rhin, de la Suisse et de l’Autriche, cette ligue allemande qui empêcha le lion de parvenir au sommet de la montagne.


« La ligue a été formée dans le secret et dans le silence ; plus d’un a été surpris qui n’en savait aucune nouvelle. »


Quant aux desseins de Charles, toute l’Allemagne, toute la Suisse, les avaient devinés.