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Les pays qui n’ont pas encore d’instruction primaire, ceux qui n’ont pas d’industrie, ceux dont l’industrie est encore engagée dans les liens de la protection par des douanes ou des prohibitions qui constituent un monopole aux producteurs nationaux, ont peu d’écoles de dessin et n’en sentent guère le besoin. Les pays dont l’évolution sociale est à peine commencée en ont encore moins. C’est pourquoi la Russie tiendra peu de place dans ce recensement général d’un enseignement populaire. Là où il n’y a pas encore d’école dans la plupart des communes, où certains gouvernemens n’ont pas même une école de filles, où les distances immenses d’un village ou d’un bourg habité à l’autre rendent plus difficile encore l’échange des idées pour une multitude qui comprend à peine qu’elle est illettrée, il n’y a pas lieu de compter sur un grand nombre de vulgarisateurs des notions du beau.

Ce n’est pas qu’en Russie, à Pétersbourg notamment, les trésors d’art fassent défaut. Les galeries particulières sont nombreuses ; celles des princes de la famille impériale ont la réputation méritée, — nous avons surtout en vue la belle collection de tableaux italiens rassemblée par le feu duc de Leuchtenberg, — d’être d’une richesse peu commune. La galerie de l’Ermitage offre, dans une série de petites salles disposées avec goût et dont plusieurs servent aux soirées de fêtes, une réunion d’œuvres peintes dignes de l’admiration du monde entier et que notre Louvre envierait. Paul Potter et Rembrandt, un talent puissant et un génie de premier ordre, y sont représentés avec plus d’éclat que nulle part ailleurs. L’école française elle-même s’y trouve réunie tout entière jusqu’à la fin du règne de Louis XVI, et y semble tenue en plus grand honneur qu’on ne l’a fait longtemps en France même ; mais ces trésors sont pour le peuple comme s’ils n’existaient pas, ces musées ne sont point des musées nationaux. On ne s’en aperçoit que trop. Non-seulement ils ne sont pas publics, bien qu’on lasse peu de difficultés pour y laisser pénétrer les étrangers, mais encore on a soin de faire remarquer aux visiteurs que tout y est la propriété exclusive de l’empereur, et que franchir le vestibule du musée, c’est être reçu chez lui. On est bien loin, comme on le voit, de ce fameux ermitage dont la grande Catherine fut d’abord l’ermite, et où elle prenait plaisir à oublier qu’elle portait une couronne et à venir causer avec ses savans et ses philosophes. Le code réglant les rapports des visiteurs avec le souverain, et qu’elle-même avait rédigé dans une heure de belle humeur, est bien changé. Ce n’est plus ce laisser-aller et ce sans-façon qu’elle demandait ; l’étiquette règne et gouverne. Quand nous entrâmes à l’Ermitage, un des huissiers, à l’aide de quelques épingles, transforma nos paletots en habits à la française ! Il ne