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du XVIIIe, ce fut dans l’école et la postérité immédiate de Racine que s’annoncèrent les premiers signes d’attention donnés à la littérature et à la poésie anglaises. M. de Valincour estimait les beaux passages de Milton à l’égal des plus belles scènes de l’Iliade. Racine fils faisait entrer dans ses Réflexions sur la Poésie l’examen du Paradis perdu. Voltaire enfin, le premier, inaugura véritablement chez nous la connaissance de la littérature anglaise : mais c’était surtout les idées qu’il avait en vue, il s’en emparait et s’en servait comme d’une arme dans la lutte, comme d’un instrument d’inoculation philosophique, bien plutôt qu’il n’y cherchait matière et sujet à une comparaison impartiale et critique. Aussi, après une première et rapide information de Shakspeare, passa-t-il vite à l’impatience et à la plaisanterie. Le Tourneur et cette école d’humbles traducteurs estimables contribuaient plus efficacement à préparer les esprits à une connaissance étendue des ouvrages d’outre-Manche ; mais ces traductions elles-mêmes n’osaient tout rendre ; on hésitait, on reculait devant les originaux ; on avançait bien lentement, et en ce qui était de l’autre côté du Rhin et de l’Allemagne on en ignorait tout : Grimm et le grand Frédéric, c’est-à-dire les plus Français d’entre leurs compatriotes, suffirent longtemps aux Parisiens comme échantillons uniques. Ce ne fort qu’au sortir de la révolution qu’un genre de curiosité purement intellectuelle, le besoin de savoir ce qui se pensait et s’écrivait au dehors, vient s’emparer de quelques esprits studieux, bien isolés dans le principe et se tenant tout à fait à l’écart de la littérature en vogue et des académies. Charles Villers, Benjamin Constant, et d’après eux Mme de Staël, donnèrent les premiers l’exemple de cette noble curiosité intelligente. Sismondi, pour sa part, dans ses cours professés à Genève, y aida., mais ce fut surtout le modeste, savant et désintéressé Fauriel qui fonda réellement chez nous cette étude méthodique et approfondie. Entièrement libre et dégagé des préjugés d’école, des soucis de rhétorique et de tout besoin d’effet, sans aucun empressement d’amour-propre et uniquement appliqué aux choses, il aspira à tout savoir, et à savoir de source et d’original, apprenant d’abord les langues et ne jugeant les œuvres qu’en elles-mêmes. Le sanscrit, l’arabe, le grec, même le grec moderne et vulgaire, l’allemand, les langues romanes, l’italien comme s’il était de Florence, que n’apprit-il pas durant les vingt premières années du siècle qu’il passa sans presque rien produire et accumulant sans cesse ? Seul et dans le silence du cabinet, il avait devancé et préparé le mouvement qui ne se dessina guère d’une manière sensible qu’après la seconde restauration, à partir de 1819. Il apportait en toute littérature la méthode historique et linguistique la plus éloignée des admirations classiques solennelles et consacrées,