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II. — LA PALEONTOLOGIE ET LES RACES EUROPEENNES PRIMITIVES.

En plaçant vers l’Asie intérieure le berceau des grandes races historiques, on obtient un premier groupement dont les termes extrêmes se trouvent déjà séparés par un intervalle énorme, puisque, selon l’expression de M. Renan, les Chinois sembleraient représenter une autre humanité, n’ayant rien de commun avec la nôtre, qu’on se place au point de vue du langage, des traits physiques ou de la civilisation. Si l’on admettait, comme le veut M. Max Müller, que chaque famille de langues correspond à l’une des périodes par lesquelles le langage humain a dû passer, il en résulterait que les races qui les parlent seraient des rameaux successivement détachés du même tronc ; les divergences seraient proportionnelles au temps écoulé depuis la séparation de chaque rameau, et l’ensemble de ces rameaux formerait une sorte d’arbre généalogique qui rappellerait le mode de filiation des espèces, tel que le conçoit M. Darwin. D’un autre côté, à mesure qu’on remonterait dans le passé, on verrait les races se rapprocher et l’identité initiale de leurs procédés intellectuels se trahir de plus en plus ; mais cette convergence rétrospective, en apparence si favorable à la théorie des monogénistes, serait encore loin de prouver l’unité de la race humaine. On s’apercevrait en effet qu’en voulant concentrer en un seul groupe les familles de langues dont il a été question jusqu’ici, on serait obligé de laisser en dehors une multitude de tribus sauvages, dispersées jusqu’aux extrémités du globe, et l’espace qui les sépare déjà de ces familles ne ferait que s’agrandir.

On peut encore invoquer en faveur de l’ancienneté de certaines races cet argument assurément nouveau et très singulier que leur distribution originaire coïncide avec les limites probables des terres et des mers dans la dernière période géologique. Il faut convenir que, si le Sahara a été fond de mer jusqu’après la fin des temps tertiaires, comme l’admettent la plupart des géologues, la région habitée par les nègres aurait eu très anciennement des bornes parfaitement précises. L’archipel des Canaries, qui semble, avec Madère et les Açores, un dernier reste du continent de l’Atlantide, possédait naguère dans ses Guanches une race toute particulière. Les régions polaires et notamment le Groenland, aujourd’hui désolés, mais autrefois couverts d’une riche végétation, se trouvent occupés par les Esquimaux. Le trait de conformité le plus saillant entre l’ancienne distribution des continens et celle des races humaines ressort de l’étude du centre de l’Asie et des parties contiguës de la Russie méridionale. La réunion en une seule mer du bassin aralo-caspien, l’extension de cette mer sur une grande partie