Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/990

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A côté des Aryens et des Sémites, M. Renan place avec raison les Couschites, race bien distincte, à qui serait due la plus ancienne civilisation des bords du Nil et de l’Euphrate. Cette civilisation, la première que le soleil vit éclore dans notre Occident, semble indiquer des tendances et des instincts peu élevés. Vouée à l’industrie et aux sens plutôt qu’aux choses de l’intelligence, n’ayant qu’un sentiment vague de la liberté et de l’idéal, mais adroite, inventive et même élégante, elle semble être promptement arrivée à maturité, mais aussi avoir immobilisé de bonne heure le cadre de son organisation sociale. En fait de religion, elle préféra un culte réaliste aux spéculations ardentes des Sémites et aux rêveries naïves, mais toujours empreintes de poésie et d’une sorte d’intuition philosophique que conçut le génie primitif des races aryennes. Les affinités des Couschites avec les Berbères du nord de l’Afrique, la liaison hypothétique du copte, qui diffère peu de l’ancien égyptien, avec les idiomes sémitiques, présentent des obscurités qu’on n’est point parvenu jusqu’à présent à éclaircir. Il est en effet des bornes que la linguistique ne saurait franchir encore. Par exemple, elle ne saurait nous apprendre si les principales races de l’Asie occidentale ont eu un même point de départ. M. Renan, d’accord sur ce point avec M. Müller, affirme que l’analyse la plus obstinée ne saurait aboutir à aucun résultat quand on l’applique à rapprocher l’une de l’autre des familles de langues basées sur des procédés diamétralement opposés. L’analogie, dont le fil précieux sert de guide à la philologie comparée comme à la paléontologie proprement dite, disparaît ici tout à fait et nous laisse en présence d’élémens absolument irréductibles. Il est permis cependant, en s’adressant à un ordre différent de considérations, de peser les raisons qui militent en faveur d’une origine commune. Les Aryens, les Sémites, les Couschites, ont trop de convenances physiques, intellectuellement ils offrent des divergences trop faibles, historiquement ils ont vécu trop mêlés, pour qu’a priori on les suppose absolument distincts. De plus les traditions bibliques, réunies aux souvenirs légendaires de tous ces peuples, reportent invinciblement l’esprit vers les hauts plateaux de l’Asie centrale. Nous retrouvons ainsi les trois grandes. races personnifiées par Sem, Cham et Japhet. Si la linguistique livrée à ses seules forces est impuissante à remonter jusqu’à leur berceau, elle éclaire du moins de ses inductions certains côtés du problème de la formation du langage.

Il est évident que le langage est le plus puissant des instrumens dont puisse disposer l’esprit de l’homme. Suivant l’opinion développée avec infiniment de justesse par M. Müller, l’intelligence ne pouvait pas plus exister en dehors du langage que celui-ci sans la première. L’intelligence est le moteur ; mais ce moteur devient