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centuer les rôles méchans ou vicieux. Le diable vit sa cour infernale foisonner à l’infini. Tantôt le bouffon, tantôt le berné de la pièce, il en est toujours l’un des personnages les plus goûtés. Quelques rôles bibliques sont aussi voués au comique, par exemple l’épicier chez qui les saintes femmes vont acheter des aromates, l’hôtelier d’Emmaüs et sa femme, le jardinier de Nicodème. C’est au XVe siècle qu’apparaît un autre personnage de grand avenir, le fou, le graciosa, ancêtre de notre Paillasse, qui, devant le peuple et les grands, jette au milieu des incidens les plus lugubres les éclats de sa verve caustique. Souvent on le laissait improviser ses plaisanteries. Dans plusieurs compositions, les momens où la parole lui est adjugée sont simplement indiqués par ces mots : hic stultus loquitur, ici parle le fou. Caïn, Pilate, le mauvais larron, Judas, Caïphe, fournissaient de nombreux motifs à la mise en scène des mauvais penchans du cœur, et ce n’est point par défaut de couleur que pèchent les peintres moraux du moyen âge. Parmi les rôles de femmes, les vierges folles de la parabole et surtout Marie-Madeleine servirent à représenter l’inconduite et la perversité féminines. La dernière passait alors pour la pécheresse repentie qui avait oint les pieds du Seigneur chez Simon le pharisien, et pour cette Marie, sœur de Marthe, qui répandit un parfum de grand prix sur la tête du divin commensal. Plus on était sûr de la montrer réhabilitée et rachetant ses erreurs par la conversion la plus exemplaire, plus on se croyait en droit d’aggraver les débordemens de sa vie antérieure. Dans le mystère de la Passion d’Arras, la Madeleine s’annonce elle-même sans ombre de vergogne :

À tous je suis abandonnée.
Viengne chacun, n’ayé point peur !
Vecy mon corps que je présente
À chacun qui le veult avoir.


C’est par là que l’élément comique et mondain prenait une place toujours grandissante au milieu des scènes édifiantes. Le jour devait venir où ce mélange répugnerait au sens religieux, et la preuve que le goût s’épure, c’est la distinction qui s’établit en France entre les mystères, les soties et les moralités. Les mystères étaient exclusivement consacrés à la représentation des grands faits de l’histoire religieuse. La sotie, réservée à la confrérie des Enfans-sans-Sonci, qui s’était organisée sous Charles VI, n’était guère qu’une farce continue ; mais la moralité se proposait surtout de démontrer une vérité religieuse ou morale à l’aide d’une parabole et très souvent aussi au moyen de personnages allégoriques. On y voyait figurer par exemple la Foi, l’Espérance et la Charité, dame