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d’être à la hauteur de son génie ; son Discours sur les révolutions du globe, si souvent invoqué comme fournissant des argumens irrésistibles en faveur de la nouveauté de l’homme, n’a en réalité aucune base sérieuse. Autorité souveraine en zoologie et en anatomie comparée, Cuvier ne possède sur la distribution relative des couches du sol et sur les phénomènes qui en ont successivement modifié la surface que des théories vagues, construites en dehors des faits. Il est préoccupé par la pensée d’établir un certain nombre de révolutions générales et d’anéantir chaque fois la vie organique, pour la faire renaître ensuite sous de nouvelles formes ; il veut faire concorder ces périodes imaginaires avec les jours bibliques, et enfin il conclut que l’existence de l’homme ne remonte pas au-delà des six mille ans traditionnels. En affirmant ainsi la nouveauté de l’homme, Cuvier se basait sur l’absence de vestiges humains dans les dépôts qui ne sont pas tout à fait récens ; mais ces vestiges existent dans tous ces dépôts, dont la véritable nature lui avait d’ailleurs échappé. Les effets de la grande révolution par laquelle il explique le diluvium n’ont en réalité rien de commun avec les phénomènes complexes du terrain quaternaire des géologues modernes, lequel n’est autre que le diluvium de Cuvier. Ces théories se sont évanouies devant la science contemporaine, qui pose en principe la continuité des phénomènes de la vie et, comme conséquence, la juxtaposition des races actuelles et des races éteintes durant cette. période quaternaire pendant laquelle l’homme n’a cessé d’accroître ses forces et de se multiplier sur la terre.

Buffon, antérieur à Cuvier et plus ignorant que lui, mais moins prévenu, avait des vues plus larges sur le passé de l’homme ; il indique les haches de pierre comme les plus anciens monumens de l’art à l’état de pure nature ; il esquisse à grands traits les premières luttes contre les forces brutes et les animaux féroces ; il fait ressortir la longue suite de siècles que supposent certaines traditions et les procédés scientifiques des premiers peuples. Les assertions de Buffon sur l’Atlantide et la réunion probable des deux continens au nord se trouvent aussi confirmées par la plupart des observateurs modernes ; mais le grand écrivain comprenait lui-même combien étaient insuffisantes les notions dans lesquelles il puisait, et qui n’étaient pour ainsi dire que les rêves de l’avenir. La science de nos jours a été plus sûre dans ses procédés et plus féconde dans ses résultats. Nul ne pourrait dire ce qu’il a fallu d’efforts réunis et de recherches patientes pour arriver à tracer les premiers linéamens de cette histoire du développement originaire de l’homme. On y est parvenu par l’analyse des langues, l’étude des plus anciens monumens, des débris enfouis dans le sol, du sol lui-même, dont les couches permettent de saisir, avec les objets qu’elles