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comparée, l’ethnologie, la paléontologie et la géologie tendent ici au même but, malgré la diversité des procédés que chacune emploie. Le résultat final, encore inconnu, ne saurait pourtant demeurer toujours inaccessible ; il est permis de croire que la solution ne se fera pas attendre, si l’on mesure l’étendue et la rapidité des progrès accomplis. Il y a dix ans à peine, les découvertes relatives aux premiers âges de l’humanité étaient encore frappées d’une sorte de discrédit ; on souriait en parlant des objets que certains savans voulaient faire passer pour des instrumens primitifs. Maintenant, après avoir vu les parties de la dernière exposition consacrées aux plus vieux spécimens du travail de nos ancêtres et les magnifiques salles du musée de Saint-Germain, on est saisi d’étonnement comme devant une révélation inattendue. On est surpris que l’ignorance ou les préjugés aient pu si longtemps dérober la signification de tant de vestiges, armes, ornemens, ustensiles de toute nature, en silex taillé ou poli, en jade, en serpentine, les uns informes, d’autres d’un fini qui en fait de véritables objets d’art. On ne comprend pas qu’une opinion presque générale ait pu naguère encore circonscrire dans d’étroites limites le passé de notre espèce.

L’antiquité, moins inconséquente, avait gardé un sentiment confus de cette période primitive. Les traditions légendaires débutent toutes par un âge où les hommes, errant sans lois et sans mœurs ; ignorent l’art de semer le blé, de conduire la charrue, habitent dans des cavernes et se nourrissent de fruits sauvages. La culture, la société, les cérémonies de la religion, sont des inventions dont le bienfait est attribué à des personnages divinisés. Menés, Prométhée, Cérès, Triptolème, Saturne et Janus révèlent les premiers élémens de la civilisation et des arts nécessaires à la vie. La notion d’un passé très reculé se joignait à celle d’un état originairement sauvage, et cette notion est plus particulièrement développée chez les peuples dont les annales remontent le plus loin, comme les Égyptiens, les Chaldéens et les Hindous. De tout temps, l’homme avait cru à l’ancienneté de sa race ; si l’opinion opposée a depuis prévalu et se maintient encore avec une sorte de parti-pris, cette tendance doit être attribuée à l’influence des idées chrétiennes, s’appuyant d’une interprétation trop étroite de la Bible. Ce qu’on nomme la chronologie biblique ne repose en définitive que sur une série de listes généalogiques dont les noms correspondent à des races et à des périodes indéterminées plutôt qu’à des individualités réelles. L’idée de retirer de ces élémens une chronologie régulière a néanmoins persisté jusqu’à nous., elle a même paru un instant justifiée par les premières théories géologiques et par l’homme remarquable en qui elles vinrent se personnifier. Malheureusement, ainsi que l’a démontré M. d’Archiac, les idées géologiques de Cuvier sont loin