Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/973

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre, plus de 4,000 habitans furent renvoyés en France par les vainqueurs. En Angleterre, l’enthousiasme fut sans bornes ; Pepperel et Warren furent faits baronets, et Boston n’eut pas assez de transports pour saluer le retour des saints qui avaient renversé le rempart du papisme dans l’Amérique septentrionale. Cependant notre gouvernement ne se résignait point à cette perte, et dès le 22 juin de l’année suivante le duc d’Anville, de malencontreuse mémoire, partait de France pour reconquérir Louisbourg avec dix vaisseaux, quelques frégates et un convoi de cinquante-deux navires. Jamais plus lamentable expédition n’attrista nos fastes nautiques. Alors que la traversée de France à Terre-Neuve n’a été de tout temps pour nos pêcheurs qu’une affaire de quinze jours en moyenne, la flotte de d’Anville, après soixante-quatre jours de mer, se trouvait encore à 300 lieues de Louisbourg ! Elle avait pourtant reconnu la terre tant bien que mal le 10 septembre, lorsque le 13 un coup de vent du sud la dispersa, et ce ne fut que le 27 septembre, c’est-à-dire au bout de quatre-vingt-quinze jours, que la plus grande partie de la division se trouva réunie sur la rade alors déserte de Chebucto, aujourd’hui Halifax, capitale de la Nouvelle-Ecosse ! Il eût fallu remonter jusqu’aux navigations d’Ulysse pour trouver un terme de comparaison. Il s’en fallait d’ailleurs que tout fût fini. Le 27 septembre, le duc d’Anville, en proie à un désespoir qui se comprend sans peine, succombait aux suites d’une attaque d’apoplexie dont il avait été frappé sur le gaillard d’arrière de son vaisseau amiral, le Northumberland ; on montre encore dans le fond de la rade d’Halifax une petite île où la tradition veut qu’il ait été enterré. Le commandement revenait par droit d’ancienneté à M. D’Estourmelles, commandant du Trident ; mais la pauvre escadre jouait de malheur, et ce nouveau chef, également accablé sous le poids de sa responsabilité, n’imagina rien de mieux que de se passer son épée au travers du corps dans un accès de fièvre chaude, deux jours seulement après la mort du duc d’Anville. Cette triste succession, qui changeait si rapidement de maître, échut alors aux mains de M. de La Jonquière, lequel, après avoir inutilement essayé d’atteindre l’établissement anglais d’Annapolis, qu’il aurait attaqué de préférence à Louisbourg, ramena piteusement à Brest son escadre démoralisée. Hâtons-nous d’ajouter que ce même officier ne devait pas tarder à se relever glorieusement l’année suivante, dans le beau combat qu’il livra le 13 mai à Anson, devant le cap Finistère.

Louisbourg ne resta cette fois que trois ans au pouvoir des Anglais, et fut restitué à la France en 1748 par la paix d’Aix-la-Chapelle ; mais les jours de la forteresse étaient comptés, et le drapeau blanc