Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/965

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un bâtiment étranger permet après le pass-wine de couronner la soirée par un quadrille improvisé. Colonial society, vous disent avec un dédain confidentiel ceux qui croient devoir prendre en pitié ces mœurs accommodantes. Il est certain qu’en présence d’une société aussi savamment hiérarchisée dans son échelle aristocratique que l’est la Grande-Bretagne, les Brown, les Jones et les Smith qui abondent dans le monde colonial se trouveraient peut-être un peu dépaysés aux salons du West-End à Londres ; mais, l’étranger qui n’a que faire d’y regarder d’aussi près jouit sans arrière-pensée de cette cordiale hospitalité dont il ne trouverait l’équivalent ni à Londres, ni dans aucune ville d’Angleterre.

Grâce à la fertilité relative des provinces de Plaisance et d’Avalon, les plus riches de l’île, la population de la partie anglaise a pu s’élever à un chiffre de 130,000 habitans, bien supérieurs sous tous les rapports aux 2 ou 3,000 enfans perdus disséminés le long de la côte française. Le mouvement commercial annuel y est de 75 millions de francs, dont la plus grosse part est fournie par l’universelle morne. Toutefois la pêche qu’en font les Anglais est limitée à leurs côtes, et aucun de leurs navires ne vient tenter la fortune sur les bancs à côté des nôtres, comme ils auraient le droit de le faire. En revanche, nous ne leur faisons dans ces parages aucune concurrence pour une autre pêche à laquelle sont occupés tous les ans leurs meilleurs matelots, et qui, bien qu’elle ne dure guère plus de cinq semaines, n’en chiffre pas moins aussi ses bénéfices par millions. Je veux parler de la pêche des phoques ou veaux marins aux mois de mars et d’avril. Cependant en mars les havres de la côte sont encore pris dans les glaces, et les pêcheurs ne peuvent gagner la pleine mer sur leurs navires que par des canaux péniblement ouverts à la scie et à la hache. Il importe en effet de se hâter ; c’est en février que les immenses champs de glace qui descendent des mers du nord, entre le Labrador et le Groenland, se dirigent vers les côtes nord-est de Terre-Neuve, et c’est à la fin de ce même mois que les femelles mettent bas sur ces bancs. Il faut donc entrer en chasse avant que les petits ne soient assez grands pour échapper aux poursuites ; mais au mois de mars les pêcheurs n’ont pas à chercher bien loin la banquise : elle les entoure bientôt sous la forme de ce que les navigateurs des mers polaires appellent drift-ice. Ce sont tantôt de larges bandes de glaces dérivant au gré du courant, tantôt des amas de morceaux brisés et serrés les uns contre les autres, ou encore d’énormes ice-bergs, véritables îles flottantes aux formes étranges. Ces dernières sont les seules dont il faille se défier, car grâce à une construction spéciale les navires expédiés à cette pêche n’ont rien à redouter de la