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SIX MOIS A TERRE-NEUVE. 951 tapis. On n’y conteste pas notre droit, on y fait même assez bon marché de toute prétention à la pêche concurrente sur notre territoire, mais on se demande, non sans raison, il faut bien l’avouer, quelle peut être la signification de cette souveraineté abstraite, inapplicable en fait et pour ainsi dire illusoire, départie par les traités à la Grande-Bretagne. Le résultat de ce mouvement d’idées fut en 1857 un projet de convention par lequel nous abandonnions aux Anglais certains points de notre côte où ils s’étaient fixés en plus grand nombre qu’ailleurs, Saint-George entre autres, tandis qu’eux nous accordaient en retour le droit de pêche concurrente au Labrador, ainsi que la liberté du commerce de la boîte, c’est-à-dire du petit poisson qui sert d’appât. L’avenir de nos pêcheries eût été gravement compromis, si ce projet avait abouti, car par cette concession malencontreuse nous renoncions à l’avantageuse situation si habilement établie par les négociateurs d’Utrecht, et, loin de nous garantir contre de futures éventualités de conflits avec les Anglais, nous ouvrions ainsi la porte à d’inévitables séries d’empiétemens dont il était impossible de prévoir l’issue. Heureusement pour nous, le parlement de Terre-Neuve refusa de sanctionner cette convention, et les choses restèrent dans le même état que par le passé. Il résulta encore d’une enquête faite en commun en 1859 par des commissaires des deux gouvernemens que tout était pour le mieux dans le système actuel, et que pour de longues années encore il n’y avait pas lieu de songer à y rien changer. Tel n’est pas à la vérité l’avis du parlement local, qui, bien qu’il ait refusé la convention de 1857, trouve cependant que tout n’est pas précisément pour le mieux dans son île, et qui à sa dernière session, en 1867, a de nouveau formulé des conclusions tendant à ce que des négociations fussent rouvertes avec la France sur les bases par lui indiquées. Il ne s’agirait de rien moins que du bouleversement complet de la situation que nous venons d’exposer. Au lieu d’un point sur notre côte, nous en céderions cinq ; de plus nous laisserions aux Anglais liberté entière de bâtir et de s’enclore sur toute l’étendue de cette même côte, sous la restriction illusoire de ne pas nuire ainsi à nos établissemens de pêche ; nous leur abandonnerions de même le droit de pêche des rivières, qui nous a toujours appartenu ; nous ne les inquiéterions dans leur pêche sur aucun des points de notre littoral où ils ne nous feraient pas concurrence ; nous accepterions en un mot sur cette côte dont les traités nous attribuent la jouissance exclusive, nous accepterions, dis-je, le rôle d’intrus tolérés temporairement par la magnanimité anglaise. En retour de ces concessions sans nombre, le projet en question nous accorderait… la liberté du commerce de la boîte !