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localités, ne prêtait pas seule à des désordres. Les représentations vivantes, en s’animant de plus en plus sous l’inspiration de la fantaisie et du goût comique, transformaient trop souvent les réunions religieuses en scènes de carnaval. Un décret d’Innocent III de l’an 1210 blâme vertement les mascarades et les indécens badinages dont les églises sont le théâtre, et enjoint aux évêques de purifier les saints édifices de ces souillures. On ne se soumit que très lentement à ce décret, car en 1227 un concile de Trêves, en 1294 un concile d’Utrecht, doivent encore s’opposer aux mêmes abus. Comme pourtant on ne pouvait plus revenir à la première simplicité du drame religieux, et que le peuple tenait aux scènes comiques au moins autant qu’aux autres, l’action continue du haut clergé tendit, depuis la fin du XIIIe siècle, à reléguer de plus en plus le drame hors des murs consacrés, et le drame ne s’en porta que mieux. Plus libre de ses mouvemens, il put se déployer à l’aise sans se heurter contre les exigences de la liturgie. Il n’avait qu’à rester orthodoxe quant au dogme, et dans les premiers temps du moins il ne songeait guère à s’écarter du Credo de l’église.


II.

La seconde période, qui va de la fin du XIIIe siècle aux jours de la renaissance et à l’aurore de la réforme, nous montre le drame religieux détaché du sein qui l’a conçu, mais encore très fidèle d’intention à celle qui l’a enfanté. Si parfois il n’est pas très orthodoxe, c’est sans le savoir ni le vouloir. Les langues populaires l’emportent décidément sur le latin, bien que la marche de la pièce soit toujours indiquée dans la langue de l’église, et que souvent des hymnes latines interrompent le dialogue. Le clergé cesse de fournir seul des acteurs à ces représentations, et même il s’en retire de plus en plus. Toutefois il se réserve encore çà et là de jouer les rôles les plus augustes, ceux du Christ par exemple, ou de Dieu le père. À sa place se forment des confréries de laïques, celle de Saint-Leu à Anvers, les frères de la Passion à Paris, la société del Gonpdone à Rome et beaucoup d’autres. Quand il n’y avait pas de confrérie spéciale, une ville entière se décidait à jouer la Passion, qui restait toujours le centre des représentations populaires. Alors retentissait dans les rues le cri du jeu avec fanfares de trompettes pour inviter à la fête quiconque voulait y coopérer « en l’honneur du Christ et pour le salut de son âme. » Des indulgences étaient attachées à cette pieuse collaboration. Les plus aptes étaient choisis pour représenter les principaux personnages. Ils devaient promettre devant les magistrats, sous la foi du serment, de