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pour le budget de l’année 1870 le ministre prévoit une excédant de recettes certain ; en revanche, l’exercice qui vient de se terminer se solde par un effrayant déficit, et l’année courante ne commence pas sous de meilleurs auspices. Les recettes du trésor pendant l’année fiscale 1867-68 ont été, sans compter les recettes fictives fournies par la création du papier-monnaie, de 174 millions de francs seulement, tandis que les dépenses ont atteint la formidable somme de 494 millions, c’est-à-dire que dans une seule année l’empire a jeté dans le gouffre de la guerre près de trois fois son revenu. L’ensemble de la dette brésilienne s’élevait au 31 mars de cette année au total de 1 milliard 99 millions, et depuis cette époque le déficit augmente en moyenne de 30 à 50 millions par mois. C’est là ce que l’honorable M. Zaccarias appelle avoir à « lutter encore contre quelques difficultés. » Quant au redoutable problème de l’esclavage, qui mériterait d’être aussi considéré comme une « difficulté, » la solution en a été indéfiniment reculée. Le commerce extérieur diminue notablement à cause des impôts de guerre qui pèsent sur les échanges et la navigation. Les journaux tiennent un langage presque révolutionnaire, les chambres deviennent hostiles, et même le sénat a répondu au discours du trône par un vote de défiance à l’égard du ministère. Des accens presque républicains ont retenti dans la chambre des députés. « Le Brésil, S’écriait M. Felicio de Santos, semble un territoire détaché de la vieille Europe par un cataclysme et relié comme un corps étranger à la jeune Amérique. Notre attitude n’est que servilité envers les nations monarchiques et décrépites de l’ancien monde, qu’arrogance et mépris envers les états libres du nouveau. Pour flatter Angleterre, nous nous sommes hâtés de reconnaître aux états esclavagistes du sud le titre de belligérans ; pour courtiser la France, nous avons salué l’avènement de l’empereur du Mexique ; pour nous faire bien venir de l’Espagne, nous avons donné pendant huit mois asile à sa flotte de guerre, et nous n’avons point protesté contre le bombardement de Valparaiso. Si nous continuons dans cette politique anti-américaine, la guerre du Paraguay ne sera point un fait isolé dans l’histoire ; elle ne sera que le prologue de la grande conflagration américaine. » Et M. Christiano Ottoni ajoute : « Il est impossible que le Brésil puisse exister, si la lutte continue… Le Paraguay est notre Mexique, et l’empire même y périra, si nous nous acharnons à cette tentative impossible. De même que l’armée française a dû quitter Mexico sur l’injonction des États-Unis, de même il nous faut sortir à tout prix du Paraguay, car noue y sommes sans droit et sans espérance. » Plaise aux peuples du Brésil d’écouter à temps ces paroles d’avertissement prophétique !


ELISEE RECLUS.