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de charbon qui essayait de franchir la chaîne fut obligé de virer de bord pour ne pas être coulé. L’inaction forcée de la flotte est d’autant plus humiliante pour la nation brésilienne que nulle part dans les eaux de l’Amérique du Sud ne se sont trouvés rassemblés sur un seul point un aussi grand nombre de vaisseaux de guerre. Au commencement du mois de mai dernier, le baron de Inhauma avait sous ses ordres trente-six bâtimens à flot sur les courans du Paraguay et du Parama ; dix de ses navires étaient à cuirasse, et portaient chacun quatre, six ou huit de ces monstrueux canons du poids de 10 à 20 tonneaux ; il disposait en tout de cent quatre-vingt-trois bouches à feu, commandait à près de 4,000 matelots, et quatre autre navires récemment construits en Europe étaient en marche pour rejoindre son escadre. Les canons d’Humayta, les bas-fonds du chenal, les embûches du rivage, et surtout le manque de combustible, qu’il a fallu payer jusqu’à 1,750 francs la tonne, dix fois plus cher que ne coûte le fer sur les marchés de l’Europe occidentale, ont transformé tous ces navires brésiliens en embarcations de parade. Au lieu de remonter une seconde fois jusqu’à l’Assomption, le Bahia et le Barroso se sont avancés seulement à l’embouchure du Tebicuari pour reconnaître les nouvelles lignes de défense des Paraguayens, qui s’étendent le long de l’embouchure sur près de 2 kilomètres d’étendue. Une colonne de 3,000 hommes, qui marchait parallèlement à la flottille dans l’intérieur des terres, sous la conduite du brigadier Menna Barreto, a dû s’arrêter à 8 kilomètres au sud du Tebicuari, sur les bords de la rivière Jacaré ou des Crocodiles. Surprise par l’ennemi, elle a battu précipitamment en retraite après avoir perdu un grand nombre de fantassins et toute sa cavalerie.

Aucun fait ne prouve jusqu’à présent que la république manque de défenseurs, et même dans un discours public le président Lopez, exagérant sans doute, affirmait que 70,000 soldats étaient sur pied dans toute l’étendue du territoire. Cependant le bruit s’était répandu dans le camp brésilien et dans les contrées de la Plata que, presque tous les hommes valides ayant été enlevés par les maladies des camps ou exterminés par le feu de l’ennemi, les femmes paraguayennes entraient à leur tour dans les rangs. On citait les noms et les chiffres, on donnait les détails les plus circonstanciés sur l’organisation des contingens féminins. Quatre mille femmes et jeunes filles auraient été chargées de la défense du Tebicuari sous les ordres du brigadier-général l’Anglaise Eliza Lynch, d’autres auraient été cantonnées à Villa-Rica, à Cerro-Leon, dans les forts de l’Assomption. Ces récits étaient au moins prématurés. Si les Brésiliens s’avancent jusque dans le cœur du Paraguay, c’est avec des hommes qu’ils auront surtout à se mesurer au passage de