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terrestre[1]. Ces comédies, à la fois pédantes et naïves, non plus

que les quelques pastiches analogues remontant à la même époque, ne sortirent jamais des cloîtres; elles n’eurent aucune action sur le peuple, qui d’ailleurs ne comprenait plus rien à ce latin-là.

C’est dans la messe, dont le caractère dramatique devient surtout marqué à partir de Grégoire le Grand, c’est dans la procession, dérivée de la messe, que l’érudition contemporaine trouve le germe du drame. Pendant la semaine sainte particulièrement, le clergé, suivant l’exemple venu de Rome, cherche à rehausser l’impression de la fête religieuse au moyen d’antiennes, de chants dialogues, de chœurs se répondant, de soli répartis entre les divers personnages de la Passion. Encore aujourd’hui l’office catholique de la semaine sainte contient un chant à trois voix, l’une narrant l’Évangile, l’autre reproduisant les paroles des Juifs, la troisième répétant celles du Christ. Bientôt l’œil eut sa part comme l’oreille à ces représentations périodiques. A côté du Christ et de ses disciples, on vit figurer près de l’autel et dans les processions Adam et Eve portant l’arbre de la connaissance, Jean le précurseur et son agneau. Judas et sa grande bourse, le diable et le bourreau, bientôt aussi le saint patron de la localité, surtout quand il s’avançait à cheval et traînant après lui quelque monstre vaincu. Presque partout ce dernier trait se rattache à quelque vieille fête de la nature. Les fêtes de Noël ne tardèrent pas à rivaliser d’éclat avec les solennités pascales, et les anciennes fêtes païennes de l’hiver et du printemps se perpétuèrent sous cette forme, adoucies, purifiées, ouvertes à des idées supérieures, mais toujours reconnaissables. Une coutume très répandue, remontant au Xe siècle, fut de déposer le jour du vendredi saint un crucifix sous l’autel dans une sorte de tombe et de l’en retirer le jour de Pâques. Un concile de Worms dut même ordonner que cette cérémonie n’eût lieu qu’en présence du clergé et les portes de l’église fermées. L’opinion s’était propagée que celui qui voyait le crucifix sortir de son sépulcre était sûr de ne pas mourir dans l’année, et l’on s’étouffait aux portes pour entrer plus vite. Cette cérémonie symbolique donna lieu de bonne heure à tout un petit drame de la résurrection. Dans plusieurs églises, on vit les trois Maries apporter de grand matin leurs parfums pour oindre le précieux cadavre et l’ange venir à leur rencontre, leur annonçant la grande nouvelle. Marie, mère de douleurs, parut aussi, le cœur percé d’une flèche, et s’agenouilla, en modulant ses lamentations, devant le sépulcre de son fils crucifié. C’étaient de jeunes prêtres

  1. Une traduction française du théâtre de Rotswitha a été publiée en 1845 par M. Ch. Maguin.