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Accouru à Tayi pour féliciter les marins de la flotte et le commandant Delphim, qui devait être récompensé plus tard de son exploit par le titre de baron du Passagem (du Passage), le marquis de Caxias donna l’ordre aux deux vaisseaux cuirassés le Bahia et le Barroso de remonter le cours du fleuve pour en reconnaître les fortifications. Le commandant Delphim remplit sa mission avec toute la prudence convenable, et pendant les quatre jours entiers que dura son voyage de 200 kilomètres il ne négligea aucune des précautions nécessaires en passant à côté des villages et des fortins de la rive ; mais ils étaient tous abandonnés, du moins en apparence : à peine quelques vedettes se montraient-elles çà et là. Les villes jadis prospères de Pilar, Villafranca, Oliva, Angostura, Villeta, Lambaré, étaient vides et silencieuses comme si quelque enchantement en eût fait disparaître soudain la population. Enfin, le 24 février, les deux vaisseaux cuirassés doublent la pointe de l’Itapita, et se trouvent en vue de l’Assomption, dans laquelle ils jettent quelques bombes. Que se passa-t-il alors ? D’après le rapport officiel du commandant paraguayen, deux ou trois coups de canon lancés par la batterie dite de Marte suffirent pour décider les navires à la retraite. Les Brésiliens affirment au contraire que la ville se trouvait à leur merci et qu’il leur eût été facile de s’en emparer. Quelle que soit la valeur de cette assertion, assez difficile à croire, il est certain que le débarquement ne fut point tenté. Effrayés peut-être de ne pas voir un seul groupe, à l’exception des compagnies de soldats, de ne pas entendre un seul cri dans une ville qui la semaine précédente n’avait pas moins de 50,000 habitans, ils se hâtèrent de redescendre le fleuve, que les Paraguayens n’avaient point encore fermé derrière eux. Deux jours avant l’arrivée des Brésiliens à l’Assomption, un décret du maréchal Lopez avait déclaré la cité ville de guerre et convié tous les habitans civils à quitter la place pour se rendre dans les localités voisines. Chose remarquable et qui donne une preuve de la singulière unanimité des sentimens patriotiques chez ces honnêtes Hispano-Guaranis, les deux jours suffirent pour l’évacuation. Dans les villages et les hameaux des environs, chaque maison s’était ouverte pour recevoir une ou plusieurs familles de réfugiés, chaque homme valide de la campagne avait offert ses bras pour aider au déménagement ; toutes les charrettes et les voitures avaient été mises en réquisition pour hâter le transport des objets précieux. La plupart des émigrans se dirigèrent vers la petite ville de Luque, située à 16 kilomètres à l’est de l’Assomption, sur le chemin de fer de Villa-Rica, et désignée par Lopez comme le siège du gouvernement. Pendant ce temps, l’ancienne capitale recevait des troupes chargées d’agrandir et d’armer les forts, de creuser les fossés, en un mot de transformer la ville en un autre Humayta.