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prospérité ? Les villes de l’intérieur, déjà si jalouses de l’hégémonie de Buenos-Ayres, voudront-elles céder à la pression de Rio-de-Janeiro ? Alors que les constitutions d’origine nationale sont elles-mêmes si peu respectées, est-il possible d’admettre que ce code d’importation brésilienne puisse être sérieusement adopté[1] ?


II

Il est heureux pour l’indépendance future des états platéens que le succès des armes brésiliennes n’ait point égalé l’habileté des diplomates, et que le petit Paraguay tienne si bravement tête au grand empire sud-américain. La forteresse d’Humayta, que le traité du 1er mai 1865 déclarait devoir être rasée, est encore parfaitement intacte, et par-delà ce boulevard qui garde l’entrée du Paraguay se trouvent d’autres lignes de défense qui ne seront pas moins bien défendues que la première, si l’ennemi vient s’y hasarder un jour. Les quelques avantages obtenus par la puissante flotte cuirassée et par les armées du Brésil suffisent pour flatter la vanité des chefs ; mais l’œuvre de la conquête n’en est guère plus avancée.

Dès le commencement de novembre 1867, les Brésiliens, grâce à l’énorme supériorité du nombre, avaient réussi à reployer leurs lignes au nord d’Humayta. Appuyés au sud sur le fleuve Parana, où se trouve leur port d’Itapirù, ils développent la rangée de leur camp en une demi-circonférence de 40 kilomètres environ jusqu’aux bords du Paraguay, que domine le fort de Tayi, commandant au loin de ses canons les eaux de la rivière. En s’emparant de cette importante position en amont d’Humayta, le marquis de Caxias avait coupé les communications directes de la place avec l’Assomption et le reste de la république par la rive gauche du Paraguay : la garnison d’Humayta ne pouvait plus être ravitaillée que par les chemins tracés sur la rive droite à travers les solitudes du Chaco. C’était là un grand succès pour les assiégans ; mais avant qu’ils pussent songer à l’investissement complet de la place, il leur fallait d’abord recouvrer à tout prix l’usage de la flotte cuirassée, qui depuis six mois était retenue prisonnière entre les batteries de Curupaity et celles d’Humayta. L’époque de l’année était des plus favorables pour tenter l’entreprise. Les eaux du fleuve, gonflées par les pluies estivales, s’étaient élevées à une hauteur inaccoutumée, la puissante chaîne qui ferme le passage se trouvait submergée à plus de 5 mètres au-dessous de la surface, et les marins des navires cuirassés pouvaient espérer de remonter ainsi sans

  1. Le projet de MM. Mitre et Velez Sarsfield a été savamment critiqué par M. Alberdi dans une récente brochure intitulée El Proyecto de Código civil para la Republica Argentina y las Conquistas sociales del Brasil.