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LE
JOURNAL D’UNE REINE

« Pollion lui-même fait des vers, » dit le poète latin. Ce n’est donc pas chose nouvelle que les princes ou les consuls veuillent être écrivains. Cependant le monde ne vit jamais autant de souverains qu’aujourd’hui essayer du métier d’auteur, et il est permis de penser qu’un jour les arrière-neveux compteront parmi les traits caractéristiques de notre temps le grand nombre des livres princiers et ce qu’on pourrait appeler la littérature des monarques. La collection des œuvres de Frédéric le Grand remplit au moins une vingtaine de volumes ; mais Frédéric n’était que prince royal quand il composa ceux de ses livres qui méritent quelque souvenir. Soit que la fonction de gouverner les hommes parût trop haute pour y mêler d’autres soins, soit que la distance entre les rois et les sujets fût mesurée d’un œil plus jaloux, la royauté autrefois s’interdisait le passe-temps d’écrire. Les mêmes précautions ne lui semblent plus nécessaires ; elle se jette volontiers dans la mêlée des discussions littéraires ; sa grandeur ne l’attache plus au rivage.

De cette tendance vraiment nouvelle, il résulte pour la critique une situation qui ne l’est pas moins. Sans doute le respect peut lui conseiller le silence ; elle n’a qu’à laisser le champ libre aux conversations qui, pour n’être pas imprimées, n’en forment pas moins le jugement public. C’est Là un tribunal qui ne se déclare jamais incompétent, tribunal toujours malicieux en ces circonstances et qui n’admet pas l’adage Cæsar supra grammaticam ; mais l’écrivain ne trouve pas ordinairement son compte dans le silence de la critique, et c’est un des cas où trop de respect plaît moins qu’un peu d’audace. Pourquoi, dit-on, ne pas s’en tenir au droit commun, et ne pas traiter suivant les lois de la république des lettres les per-