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argentins ; peut-être cependant n’était-il pas de force à lutter d’intrigues contre le président actuel, homme très habile dans ce genre de stratégie.

La combinaison qu’avaient proposée certains « politiciens » de Buenos-Ayres était fort ingénieuse, et peut-être était-ce la seule qui dans les circonstances présentes aurait pu éviter la guerre civile à la république. Toutefois il est probable qu’elle n’était pas sérieuse, et n’avait été imaginée que pour endormir la vigilance du vieil Urquiza et le ruiner d’autant plus facilement par-dessous main. Cette combinaison était de désigner le général Urquiza pour la présidence comme le représentant des états de l’intérieur et de signaler aux votes pour la vice-présidence le Dr Adolfo Alsina, fils du président du sénat, gouverneur de Buenos-Ayres, et l’un des hommes les plus populaires du parti des crudos ou crus, c’est-à-dire des localistes purs. De cette manière, les deux fractions hostiles de la république, ayant chacune leur part dans le gouvernement, se seraient peut-être réconciliées pour un temps, et de graves dissensions intestines auraient pu être épargnées. Cet expédient n’eût, il est vrai, résolu aucune des questions litigieuses entre Buenos-Ayres et les états du Parana, des pampas et des Andes ; mais dans un pays où les relations entre les partis extrêmes ne sont point fixées par la justice et n’ont été jamais établies que par les hasards de la guerre et des compromis, c’est déjà beaucoup que de gagner des mois ou des années de répit. En effet, la crise de l’élection présidentielle est beaucoup plus redoutable dans la république argentine que dans toute autre contrée de l’Amérique du Sud, car sur les bords de la Plata ce ne sont pas seulement des ambitions rivales qui se trouvent en présence ; deux politiques hostiles, deux systèmes absolument contraires l’un à l’autre sont en lutte, et toute nomination risque d’être considérée comme une déclaration de guerre par une partie de la population. Que la majorité des voix nomme un candidat favorable à l’hégémonie de Buenos-Ayres et au maintien de ses privilèges, et les fédéralistes des provinces de l’intérieur, lésés dans tous leurs intérêts commerciaux et politiques, ne manqueront pas de protester contre le résultat du scrutin. Que les suffrages les plus nombreux se portent au contraire sur un partisan de l’autonomie des provinces, et sans nul doute la ville de Buenos-Ayres répondra par une déclaration d’indépendance locale. Aux petites guerres et aux révolutions partielles succédera peut-être une lutte plus générale, à moins que les deux moitiés de la nation n’aient la sagesse de se séparer à l’amiable. Dans son discours d’inauguration de l’assemblée législative de Buenos-Ayres, le gouverneur Alsina prononçait les paroles suivantes, d’autant plus graves que l’orateur briguait les suffrages du peuple comme candidat à la