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qui a recueilli la gloire de la journée. Parmi les événemens de la guerre, il en est un seul que le président de la Plata puisse revendiquer comme étant le résultat de sa haute stratégie, c’est le terrible échec de Curupayti, qui coûta au moins 5,000 hommes à l’armée des alliés. Et pourtant telle est la puissance de la vanité, tel est l’amour des titres sonores, que M. Mitre, même en descendant du fauteuil présidentiel, hésite à donner sa démission de généralissime. Redevenu simple citoyen sans mandat, il n’en voudrait pas moins garder un droit nominal de commandement sur la plus puissante armée qui se trouve actuellement réunie en un point quelconque du Nouveau-Monde. Son ministre, interpellé à cet égard dans le congrès argentin, s’est borné à répondre que sur cette question d’étiquette, pourtant si misérable, des négociations se poursuivent avec le cabinet de Saint-Christophe.

Ce n’est pas tout : comme si les six années de son administration avaient été une période glorieuse pour la république, le président Mitre n’a pas voulu consentir à céder le pouvoir « sans phrases, » et du campement de Tuyucué, d’où il ne pouvait, à son grand dépit, envoyer un bulletin de victoire, il a du moins lancé son « testament politique. » Ce testament, rempli de formules banales au sujet du respect dû aux lois et à la constitution, est d’ailleurs fort peu constitutionnel, car ce n’est autre chose qu’un manifeste électoral en faveur des candidats agréables au Brésil, et moins que tout autre le président de la république aurait dû se permettre pareille intervention. Les agens brésiliens désiraient surtout voir nommer le Dr Rufino de Elizalde, ministre des affaires étrangères dans le cabinet du général Mitre, financier fort habile, allié par mariage aux principales familles de Rio-de-Janeiro, et l’homme qui avait eu la plus grande part dans la rédaction du fameux traité de triple alliance contre le Paraguay. M. Mitre ne dédaigna pas de seconder dans cette besogne les efforts de ses amis les diplomates impériaux. Après s’être adressé à la nation, il se retourna vers le général Urquiza, le candidat le plus hostile à la politique brésilienne, et le supplia de se désister de la lutte électorale. Dans sa lettre, document verbeux dépourvu de toute idée précise, le président s’adresse à la vanité de son rival ; il lui parle de la gloire acquise sur le champ de bataille de Caseros et lui cite le grand exemple de Washington, se retirant de la vie publique afin que son influence ne devînt pas un danger pour les libertés nationales. Toutefois le général Urquiza, qui par sa fortune immense, son faste, son avidité, ses habitudes de despotisme militaire, est loin de rappeler le modeste et simple vieillard de Mount-Vernon, ne crut point devoir obtempérer aux conseils de M. Mitre. Au contraire il lui répondit en proposant nettement sa candidature aux suffrages des électeurs