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sentons que les hommes qui y sont nommés n’étaient pas de la même race que nous et ne pensaient pas comme nous ; dans le troisième, toute la science moderne a reconnu nos ancêtres. C’est d’eux par conséquent que la lumière est née et qu’à travers des milieux changeans elle s’est propagée jusqu’à nous. Quelques-uns de ces milieux ont laissé passer le rayon à peine modifié, d’autres l’ont brisé, décomposé, altéré ; il en est qui l’ont presque entièrement éteint et qui sont demeurés ténébreux. C’est à la science qu’il appartient de reconnaître les chemins que l’idée religieuse partie de l’Asie centrale a suivis à travers le monde, et de reconnaître les causes qui dans chaque pays l’ont plus ou moins profondément modifiée. C’est à elle aussi de reconstituer l’unité première de la doctrine et d’énoncer les lois qui en ont réglé la transmission.

Dans les pages qu’on vient de lire, nous avons signalé ces lois et ces causes autant du moins que l’état de la science permet de le faire. À mesure qu’elle avancera dans la découverte des faits, ces causes s’éclairciront, et ces lois s’exprimeront par des formules de plus en plus précises. Déjà nous avons pu saisir l’unité de la théorie primitive sur laquelle reposent toutes les grandes religions, reconnaître le centre géographique où elle est née et la race qui l’a conçue. Si l’on veut réunir les faits historiques de toute nature, on verra que c’est autour de ce centre que l’humanité gravite et cherche à coordonner ses mouvemens. Les constitutions sociales et politiques, ainsi que les influences de race, ont fait naître des communions locales et des églises particulières : ce sont là des phases plus ou moins durables, mais passagères, du dogme commun dont nous avons précédemment signalé les élémens. Or il est dans l’ordre de la nature que toute forme, après que sa raison d’être est épuisée, rentre dans l’unité d’où elle était sortie. Les formes de la vie physique et morale apparaissent tour à tour sur un fonds commun qui est invariable et impérissable ; elles s’y servent d’aliment les unes aux autres. Il n’y a aucune raison qui puisse soustraire les religions locales à cette loi universelle. Ajoutons que les luttes où les hommes s’épuisent pour propager ou pour défendre chacun la sienne sont des efforts stériles, qui ne retardent ni n’avancent d’un seul jour l’accomplissement de. la loi. Aussi la science, qui a pour unique objet les lois du monde et qui est étrangère aux pratiques et aux agitations de la réalité, marche-t-elle avec une sérénité parfaite dans la voie que la raison lui ouvre, persuadée que les hommes n’ont rien à perdre et peuvent gagner quelque chose à voir s’illuminer la route dans laquelle ils cheminent obscurément et avec tant d’efforts.


Émile Burnouf.