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l’absolutisme. En réalité, les sociétés laïques cessaient d’être ; elles menaçaient d’être remplacées par une vaste communauté ecclésiastique modelée sur l’empire romain, simulant les castes et reproduisant en Europe quelque chose d’analogue à la Perse de Darius.

Nous n’avons pas à raconter ici la longue histoire de la puissance des papes. Chacun sait comment elle a décliné sans interruption, soit par la résistance des rois, soit par la réaction de l’esprit germanique connue sous le nom de réforme. Ce double mouvement n’est point terminé : d’une part nous voyons le pape défendre pied à pied, même par les armes et à prix d’argent, les derniers lambeaux de son pouvoir impérial, de l’autre l’esprit laïque, fortifié par la science et par tant de créations qu’il lui doit, continuer l’œuvre de la réforme et ramener peu à peu l’autorité du pontife de Rome à ce qu’elle était à son origine. L’Europe est souvent bien lasse d’une lutte qu’elle croit stérile, et dont elle ne voit pas toujours clairement la fin ; mais il faut qu’elle prenne patience, qu’elle trace, comme on dit en mathématiques, la courbe du pouvoir séculier de l’église, qu’elle se persuade que les lois de la nature procèdent par de telles courbes, et qu’elles sont irrésistibles. Le non possumus n’est pas une force, c’est un fait d’inertie et un aveu d’impuissance. La force vive des sociétés modernes est dans la science et dans la volonté qu’elles ont de remettre les choses à leur place en séparant les pouvoirs.

On voit par ce qui précède que le christianisme, pris tel qu’il est dans les diverses églises, offre deux élémens parfaitement reconnaissables. Dans ce qu’il y a de commun entre elles, c’est-à-dire dans la métaphysique, dans les rites fondamentaux et dans les symboles les plus anciens, il est la religion universelle venue d’Asie, et se confond par ce côté avec les antiques religions des peuples aryens ; mais les hiérarchies sacerdotales, plus ou moins semblables à des monarchies, dont l’Europe et le Nouveau-Monde nous donnent le spectacle sont des institutions politiques. Elles n’ont rien de commun avec la religion, qui est la même pour tous, tandis qu’elles diffèrent dans chaque pays. La dissolution ou la transformation de ces hiérarchies est un événement séculier auquel la religion est indifférente. Celle-ci serait compromise, si un événement de ce genre devait introduire en elle une métaphysique nouvelle entraînant des rites et des symboles nouveaux ; mais comme elle a pu sans rien changer à ces élémens s’accommoder aux états politiques les plus divers et animer tour à tour les grandes civilisations de l’Inde, de la Perse, de la Grèce ancienne et moderne, de l’Europe latine ou germanique, impériale, féodale, royale et républicaine, elle est fort en état de voir s’accomplir à côté d’elle des changemens nouveaux. Nous comprenons la persévérance avec laquelle l’église romaine,