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l’homme une cause de diversité religieuse, puisque les mœurs sont engendrées par l’état social. De là vient que telle religion ne saurait être acceptée par tel peuple, ni convenir à telle époque, parce que sa morale ne répond point à l’état social de cette époque ou de ce peuple. Les Grecs d’autrefois, les Indiens et les Perses faisaient beaucoup de choses qui nous semblent condamnables ; nous en faisons d’autres qui révoltent les musulmans. Que l’on compare, par exemple, leur manière d’agir à l’égard des femmes avec la nôtre, et l’on verra que cette seule différence s’oppose invinciblement à l’introduction du catholicisme chez eux. Pour qu’elle devînt possible, il faudrait d’abord qu’ils changeassent leurs mœurs et leurs usages à cet égard, et qu’ils fissent comme nous ; mais dès lors il seraient en cela catholiques, et n’auraient plus besoin d’être prêchés, ni convertis. On pourrait faire les mêmes réflexions au sujet de l’esclavage : quoique les esclaves dans l’ancienne Athènes fussent traités aussi bien que les domestiques le sont chez nous, cependant ils étaient esclaves, et il fallait des lois pour les protéger contre les mœurs. La religion chrétienne, en ne reconnaissant pas l’esclavage, eût été incompatible avec l’état de la société hellénique. Notre école d’Athènes a trouvé dans ces dernières années un grand nombre d’inscriptions anciennes constatant des affranchissemens d’esclaves par forme de don à une divinité ; il se faisait donc dès lors un changement dans les mœurs, et ce changement a rendu possible l’introduction de la morale chrétienne en Grèce sous les empereurs.

Si l’on voulait prendre la peine d’interroger l’histoire des mœurs dans l’humanité, on se convaincrait que, du moment où la religion se fait moraliste, elle perd son caractère universel, et s’approprie à une époque, à un peuple particulier ; mais comme le temps marche, que ce peuple s’instruit ou s’abêtit, et que de son progrès ou de sa décadence naissent des mœurs nouvelles produites par un nouvel état social, il faut que la religion change, ou, étant abandonnée, périsse. Ordinairement elle périt, parce que l’immutabilité qui est au fond de la doctrine métaphysique, base de toutes les religions, se communiquant à toute l’institution religieuse, chaque église a la prétention d’être invariable dans tous ses élémens. Elle cesse donc bientôt de répondre aux besoins changeans de la nation ; les hommes la délaissent les premiers, les femmes suivent les hommes, et les temples restent déserts. C’est ce qui est arrivé pour les religions de la Grèce et de l’Italie en pleine civilisation.

A la morale se rattachent ses applications. Quoique dans les théories péripatéticiennes, admises encore par beaucoup de personnes, la politique soit une dépendance de la morale, en réalité les idées politiques d’une nation n’ont de rapport avec ses mœurs que parce que les unes et les autres dérivent de son état social. De