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sueur, il est vrai, n’était qu’un disciple inconscient du peintre de la Farnésine, qu’il n’a presque pas connu. De nos jours, en France, Raphaël a servi de guide à d’admirables talens. La Source, fraîche et pure comme l’eau qui baigne ses pieds, l’Angélique, pathétique et belle malgré l’inutile gonflement de son cou, sont parmi les plus solides titres de gloire de M. Ingres. On n’a pas mesuré toute l’originalité de Flandrin quand on n’a pas contemplé à Saint-Germain-des-Prés cette Ève si touchante appuyant sur l’épaule d’Adam son front chargé de remords et de honte. Ces voies de la plastique spiritualiste, d’autres les ont trouvées ardues et les ont désertées. Ils ont cru ou feint de croire que la nudité, tour à tour insignifiante, effrontée, imbécile ou même repoussante, avait le droit d’attirer les regards. Que dire à ces incorrigibles qu’on ne leur ait cent fois et inutilement répété ? Laissons-les donc vivre et mourir dans les bras de la muse réaliste qui les a si bien inspirés ; mais c’est pour la critique un devoir impérieux de proposer à la génération qu’ils n’ont pas encore séduite l’étude du génie, du caractère, des efforts de Raphaël, et de montrer comment il a renouvelé la beauté plastique en y mettant la chaleur sympathique de son âme et la sève intellectuelle d’un spiritualisme indépendant. Puisque l’utile coutume s’établit enfin de traiter les artistes en gens raisonnables et de philosopher devant eux, répétons-leur cette vérité philosophique qu’à l’inverse des plantes et des animaux les peintres sont des êtres libres. Ajoutons qu’à ce titre c’est d’eux que dépend au plus haut degré leur progrès ou leur abaissement. Qu’ils apprennent enfin que le progrès de quiconque est libre se reconnaît à ce double signe, qu’il subit de moins en moins l’empreinte des hommes et des choses, et qu’il impose de plus en plus aux choses et même aux hommes la marque de sa propre pensée.

Charles Lévêque.