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attendre à visiter un peuple qui marche. A Milan, ce palais somptueux récemment sorti de terre offre des salles immenses que décorent de colossales peintures confiées aux meilleurs peintres milanais. Si ces peintures ne valent pas la Cène de Léonard, c’est que les Léonard ne sont pas de ce siècle. L’aspect de la ville répond au faste de cette entrée : ce ne sont que larges rues, beaux jardins, vastes maisons. Les écoles sont installées dans des palais, les abattoirs, largement approvisionnés d’eau par de puissantes machines, couvrent d’immenses terrains, les cours et les escaliers des monumens, les clochetons et les aiguilles du dôme se décorent à chaque instant de statues nouvelles ; un Léonard de Vinci colossal doit se dresser avant peu sur un piédestal où seront groupés ses élèves, devant le théâtre de la Scala. Entre cette place et celle du Dôme règne une coupole flanquée de quatre arcs de triomphe, cathédrale vitrée dont les chapelles sont des magasins. C’est la galerie Victor-Emmanuel, illuminée tous les soirs par des milliers de becs de gaz ; les Milanais ne regrettent pas l’argent jeté dans ce passage trop somptueux, le plus beau du monde. Les mûriers et les rizières le paieront tôt ou tard.

En quittant Milan, vous vous arrêtez entre deux trains à Brescia pour voir la ville, vous la trouvez active et gaie ; elle ne se plaint pas des guerres passées ni dès guerres futures, qui font vivre ses armuriers. Encore quelques stations, et vous arrivez en Vénétie. Plus de policiers aux frontières qui épèlent vos passeports, plus de douaniers qui lisent vos livres, déplient vos vêtemens et ouvrent jusqu’à vos parapluies. Vous entrez fièrement à Vérone, à Mantoue, sans rencontrer d’autres inspecteurs que ceux de l’octroi ; vous leur dites que vous n’avez rien à déclarer, et ils vous croient sur parole. Vous lisez partout des noms qu’on n’aurait pas prononcés sans péril dans ces mêmes endroits il y a peu d’années ; vous trouvez à chaque pas une place, un marché, un pont, un corso, une rue, un monument, qui. rebaptisé par le nouveau régime, a pour parrain Victor-Emmanuel, le prince Humbert, Garibaldi, Cavour, Manin. Liberté complète ; on parle à cœur ouvert dans les lieux publics, les libraires mettent en montre impunément toute sorte de livres qui, n’étant plus défendus, ne sont plus achetés ; la police ne saisit que les libelles obscènes. La religion est respectée : San Tommaso Cantuariense, Sant’Elena, Santa Trinità, San Nazaro e Celso, San Zeno (l’une des merveilles de Vérone), églises autrefois transformées par les Autrichiens en casernes ou en magasins militaires, ont été rendues au culte par Victor-Emmanuel. L’évêque de Vérone permet, protège même les asiles de l’enfance. Enfin ce n’est pas une petite joie de monter maintenant au belvédère de la villa Giusti, d’où le regard, embrassant le quadrilatère entier, peut