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qu’aux environs de la ville. Plusieurs routes romaines partaient bien dans tous les sens, mais presque toutes s’arrêtaient au bout de quelques lieues, les unes aux résidences royales, les autres aux montagnes, et, se rétrécissant à chaque mille en chemins pour les mulets, en sentiers pour les chèvres, elles finissaient par disparaître entièrement. Hors des grandes voies consulaires qui traversaient les Pouilles et les Calabres, on ne savait où passer. De fortes sommes étaient bien destinées, paraît-il à ces travaux publics ; mais l’argent se perdait on ne sait où, toute recherche à cet égard étant interdite. Un seul fait entre mille : une grande route commencée en 1853 devait aller de Sapri à la Mer-Ionienne ; en 1860, elle avait déjà coûté 2 millions 1/2. Pas une seule parcelle de cette voie n’était encore ouverte aux voitures !

Eh bien ! à la fin de l’an dernier, 5,024 kilomètres étaient livrés au public, 8,504 doivent l’être à la fin de 1870. C’est dans ces travaux que le jeune royaume a déployé le plus de zèle ; pour nous en convaincre, il suffit de nous rappeler le temps que la France a mis pour accomplir ce que l’Italie aura fait en dix ans. C’est en 1835 que commencent chez nous les études des chemins de fer, les grandes lignes ne furent décrétées qu’en 1842, il fallut encore dix ans et plus pour les construire ; mais l’Italie ne pouvait attendre, elle devait relier en toute hâte ses cent villes, afin de réunir en nation tant de peuples si longtemps séparés. Elle a pu le faire, et nous en profitons tous ; maintenant un voyage dans la péninsule n’est plus une fatigue. Les Alpes franchies, vous sentez bien le changement de pays à la beauté du ciel et à la douceur de la lumière ; mais les villes que vous visitez sont en Europe, les hommes que vous rencontrez sont de votre temps. Le Mont-Cenis n’est plus une barrière, le chemin de fer qui l’escalade est ouvert. Le tunnel qui doit traverser la montagne est aux deux tiers percé, les ouvriers italiens et français qui marchent les uns vers les autres dans ces souterrains pourraient se rencontrer d’ici à deux ans, si leurs pays dépensaient moins d’argent en artillerie. Du pied de la montagne, en deux heures vous êtes à Turin, et vous débarquez dans une gare monumentale où des files de voitures vous attendent, abritées sous le toit d’un vestibule. Vous croyiez trouver une ville morte, un corps inerte dont la tête tranchée est ailleurs, vous vous figuriez que Turin avait tout perdu depuis qu’elle n’était plus la capitale de l’Italie ? bientôt les rues que vous traversez vous rassurent. Les étrangers viennent donc toujours à Turin ? Qu’y viennent-ils faire ? Il n’y a ici ni le palais Pitti, ni le Vatican, ni Pompéi, ni les lagunes : il y a mieux que tout cela, un peuple actif qui, instruit par vingt années de liberté, sait se tirer d’affaire, et n’a pas besoin de commander aux autres pour rester debout. Quand ils eurent perdu leur