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entrées de grand cœur dans cette carrière, où elles pourront vivre de leur travail : ce seul fait montre un progrès étonnant dans l’opinion publique. Autrefois, c’était hier, une jeune fille de bonne maison se serait crue déshonorée en gagnant son pain ; elle eût préféré cent fois le couvent ou la mendicité sous forme de placets et de suppliques. Une Italienne aujourd’hui, sans rien perdre de sa liberté ni de sa dignité, sait qu’elle peut rester dans le monde et faire sa tâche ; il y a plus qu’une révolution politique, il y a toute une révolution morale dans cette nouvelle manière de comprendre le devoir et l’honneur. Tout ce mouvement d’instruction et d’éducation intéresse vivement l’élite de la société napolitaine. Les négocians, qu’on accuse à tort d’être bourbonniens, se sont concertés pour encourager les élèves des écoles gratuites. A cet effet, ils ont nommé une commission chargée d’examiner chaque année les enfans et de récompenser les meilleurs élèves. Les récompenses consistent en livrets de la caisse d’épargne de 5 à 100 francs. La distribution des prix se fait solennellement, sur un des grands théâtres, en présence des autorités et des notabilités de Naples ; il ne manque à la fête, et c’est un tort, que les parens des triomphateurs. A Milan, la cérémonie est plus brillante encore : elle a lieu en plein jour et en plein air, dans l’arène, où des milliers d’écoliers, leurs pères et leurs mères sont étages sur les gradins. Les prix décernés, vainqueurs et vaincus se rangent en compagnies, marchent au pas, font des évolutions, montrent leur souplesse et leur force, et le peuple les regarde avec une tendresse orgueilleuse. C’est une fête nationale antique.

Les statistiques officielles, qui s’arrêtent malheureusement à l’année 1865, constatent des efforts et des progrès étonnans, surtout dans les provinces arriérées. C’est dans l’ancien royaume des Deux-Siciles que se sont accrus le plus rapidement le nombre des classes et des élèves, le nombre et le salaire des maîtres, les sommes destinées à l’instruction. L’Italie a déjà plus d’écoles, relativement à sa population, que la Belgique, la Hollande et l’Autriche. En une année (1863-1864), les classes du soir ont doublé, et cependant les adultes qui s’y pressent ont peine à y trouver place. Les établissemens pareils en France ne sont pas aussi fréquentés. Les institutrices se distinguent particulièrement en Lombardie, où on leur confie déjà, comme en Amérique, les écoles primaires de garçons. Enfin les écoles régimentaires marchent fort bien et sont fort utiles ; la nécessité en est démontrée par des chiffres effrayans. A la levée de 1864, 65 recrues pour 100 ne savaient ni lire ni écrire, 92 pour 100 en Sicile, dans la province de Trapani ! Ces barbares, comme les appelle M. Berti, n’étaient pas seulement campés en Italie, ils étaient enrôlés dans l’armée ; faut-il s’étonner maintenant de ce qui s’était