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Les arquebuses à la lucquoise firent merveille chez nous jusqu’à l’an 1527. C’est la France aujourd’hui, c’est l’Angleterre, c’est la Prusse, qui trouvent toutes ces belles choses. L’Italie, déchirée par les deux grands ennemis qui se l’étaient disputée depuis le moyen âge, le sacerdoce et l’empire, et qui se l’étaient partagée depuis lors en se réconciliant contre elle, l’Italie, morcelée en petits états, isolée de l’Europe, écrasée même par ses souvenirs, était tombée dans un épouvantable état d’ignorance et de misère que nous aurons à constater par des chiffres dans la suite de ce travail. Nous dirons aussi les efforts qu’elle a faits pour se réveiller, et nous pourrons sans doute en terminant laisser une porte ouverte à l’espérance.


II

Quelle était la principale cause de cette décadence dont l’Italie commence à peine à se relever ? M. Landucci répondra pour nous officiellement à cette question ; voici en quels termes ce ministre du grand-duc de Toscane Léopold II écrivait au préfet de Grosseto, qui venait de lui envoyer un rapport sur l’instruction publique. « Si ce rapport montre chez le rédacteur un zèle empressé, il laisse percer en même temps une tendance à la diffusion progressive de l’instruction. Je ne sais jusqu’à quel point cette tendance peut être approuvée par un ministre politique. Pour le soussigné, c’est une maxime et une règle de conduite de maintenir les hommes dans un tel état qu’ils aient des désirs proportionnés aux moyens de les satisfaire. » Ainsi pensait le gouvernement le plus doux et, jusqu’en 1848, le plus avancé de la péninsule. M. Landucci estimait que l’instruction, répandue au-delà du besoin, devait être bridée « avec la prudence nécessaire pour réduire au service social le cheval qui, abandonné à sa propre force, ne peut que perdre le cavalier. » Le duc de Modène allait plus loin ; il ne voulait pas que les fils, — à commencer, bien entendu, par le fils du souverain, — eussent une autre profession que celle de leurs pères. Ferdinand II, roi des Deux-Siciles, écrivait hardiment : « Mon peuple n’a pas besoin de penser. » Il résulta de cette manière de voir qu’en 1861, c’est-à-dire à l’époque où le nouveau régime se mit à l’œuvre, il y avait en Italie, sur 22 millions d’habitans, 17 millions qui ne savaient ni lire ni écrire, les huit dixièmes de la population ! Cette multitude d’illettrés grossissait à mesure qu’on descendait du nord au midi. Dans le Piémont, déjà transformé par douze années de liberté, 49 habitans sur 100 ignoraient l’alphabet, en Lombardie 57, dans les duchés et les Romagnes de 80 à 82, dans les Marches 85, dans l’Ombrie 86, dans le Napolitain 88, en Sicile 90,