Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriétaires tiennent trop à leur santé pour faire valoir eux-mêmes leurs terrains, nous retrouvons de gros fermiers qui paient en argent et qui s’enrichissent. Plus bas, dans l’Ombrie, les propriétés sont plus vastes encore ; aussi n’en cultive-t-on que la douzième partie, la dixième au plus ; on laisse le reste en jachère. En descendant toujours, nous arrivons dans la campagne romaine, grandes plaines incultes, dépeuplées, infectées par le mauvais air, où ne vivent que des brigands, où ne poussent que des ruines, et que ne visitent même plus les montagnards abruzzais qui les cultivaient autrefois. Le ministre de l’intérieur des états pontificaux, M. de Witten, y dut récemment envoyer des soldats pour faire les récoltes ; mais plus bas, dans les plaines de la Campanie, la nature est en fête ; c’est bien ici la terre de Saturne, alma parens frugum. De Gaëte à Sorrente, s’étendent des terrains où le blé pousse à l’ombre d’arbres qui porteront des fruits, et grâce à ce vieil usage campanien trop critiqué dans le nord, les champs, qui sont en même temps des vergers, produisent double récolte. Les colons du pays, fermiers ou métayers, deviennent aisément propriétaires, et ceux des environs de Naples labourent avec le plus grand soin la vaste plaine potagère qu’arrose un fleuve presque hydrophobe, le Sebeto. Heureux surtout les colons qui ont des terres au pied du Vésuve ! Ils cultivent la garance, qui est d’un rapport discret, disent-ils, mais sûr ; ils sèment aussi du coton, qui produit beaucoup plus, mais moins constamment : un tiers de la récolte se perd, et il suffit d’une gelée pour la brûler. Cependant le coton du Vésuve (le coton de Castellamare, comme on l’appelle, du nom du port où il est embarqué) est le plus estimé d’Europe, et n’est surpassé que par les qualités supérieures d’Amérique. Cette culture, propagée dans les plaines de Salerne, dans les Calabres, dans les Pouilles, dans les basses vallées de la Sardaigne et de la Sicile, a rendu pendant la guerre d’Amérique jusqu’à 60 millions par an[1].

Passons maintenant par-dessus les Apennins, d’une mer à l’autre, nous tomberons dans le Tavoliere apulien, où des mœurs barbares se sont maintenues jusqu’à nos jours. On la connaît depuis longtemps, cette plaine fatale couvrant 500 kilomètres carrés, plaine aride en été, verte en hiver, et déjà hantée par les bergers des Calabres et du Samnium au temps où le poète Horace écrivit sa première épode. Cette migration libre du bétail devint obligatoire au profit du fisc, à l’espagnole, sous la domination des Aragonais, et durant quatre siècles les montagnards furent forcés par la loi de

  1. Voyez un intéressant rapport de M. G. de Vincenzi, commissaire italien à l’exposition de Londres : On the cultivation of cotton in Italy. London, 1862.