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pire dans ses personnages. S’il fut, comme on l’assure, le fils de son siècle, il faut avouer que l’enfant ressembla peu à son père. À ce moment, nous dit-on, le peuple est païen par tempérament, et les gens bien élevés sont par éducation incrédules. Épicuriens et superstitieux, tels sont alors les Italiens selon Luther et selon la vérité. Les esprits sont cultivés, les cœurs restent féroces. « Ces gens font des actions sauvages et des raisonnemens d’hommes civilisés : ce sont des loups intelligens, » dit M. Taine. Soit, admettons l’exactitude de ce portrait, quoiqu’on y voie des couleurs tranchées, presque criardes, et point de nuances ; mais enfin qu’y a-t-il de commun entre Raphaël et cette image de l’Italien aux premiers jours de la renaissance ? Est-ce que le Sanzio est païen ou incrédule, épicurien ou superstitieux ? Est-ce qu’il accomplit des actions sauvages et raisonne en homme raffiné ? Pour ses œuvres, on a prouvé qu’il n’en est rien, et quant à l’homme, où trouver une incarnation plus aimable et plus achevée de la sympathie ? Quelle grâce dans la bonté, quelle magique puissance d’attraction ! Tout enfant, il n’a qu’à paraître, les cœurs sont gagnés. À seize ans, il a déjà des amis, tels que Gaudenzio Ferrari et Girolamo Genga, qui deviennent soudain ses élèves et qui lui demeurent fidèles au-delà même de la mort. Au même âge, il rétablit la concorde au sein de sa famille divisée, apaise son irritable marâtre et assure l’existence de sa jeune sœur Elisabetta. Plus tard, célèbre et opulent, sa générosité croît et s’élève comme sa fortune. En voici une preuve : il y avait à Rome vers 1519 un vieillard d’une science et d’un stoïcisme extraordinaires, nommé Fabio Calvo, de Ravenne. Cet homme méprisait l’argent, et abandonnait à ses parens un traitement que lui faisait le pape. Il se nourrissait d’herbes et de laitues, logeait dans un trou pire que le tonneau de Diogène. Exténué de travail, il était tombé malade et allait mourir. Quelqu’un cependant veillait sur lui. — « Fabio est soigné comme un enfant, dit un témoin oculaire, par le très riche et très estimé Raphaël d’Urbin, jeune homme de la plus rare bonté et d’un esprit admirable. » — Inaccessible à l’envie, Raphaël défendait contre la mobilité capricieuse et destructive des papes les œuvres de ses prédécesseurs. Non-seulement il savait supporter la redoutable concurrence de ses grands rivaux, mais il leur rendait hommage et remerciait Dieu publiquement de l’avoir fait naître au temps de Michel-Ange. Pour ses élèves, c’était un père. N’ayant nul goût pour la domination, exempt de cette humeur despotique qu’on a reprochée à Louis David, il a néanmoins marqué de son empreinte une lignée de disciples. Il était leur souffle, leur muse ; il fut la joie, la lumière et la vie de ses amis. Tous auraient dit comme la duchesse Jeanne de Stora, l’une