Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleuves qu’il possède tout entiers, de la source à l’embouchure, ne pouvait manquer de s’appartenir tôt ou tard. Il est habité par des peuples ayant les mêmes traditions, les mêmes gloires, la même langue, car les dialectes, qui tendent à disparaître, ne seront bientôt plus que des façons diverses de parler l’italien. Sans attendre le glossaire toscan récemment proposé par l’illustre Manzoni, il se forme une langue commune qui naît toute seule de l’unité nationale. Les Italiens de toutes les provinces sont devenus voyageurs depuis que la locomotion est libre ; ils se voient, trafiquent, se marient entre eux, se rencontrent dans les administrations, se rassemblent sous les drapeaux, et chacun d’eux, modifiant un peu son dialecte ou, si l’on veut, son idiome, arrive en fort peu de temps à se faire comprendre partout. Les écoles et l’armée n’ont pas peu contribué à la formation de cette langue générale. Elle n’est certes pas fixée comme la nôtre, chaque province y met un peu du sien, chaque provincial la prononce à sa manière ; mais il reste un fonds commun de termes et de locutions grâce auquel les habitans les plus illettrés des provinces les plus éloignées l’une de l’autre peuvent s’entendre. Il y a donc en Italie unité de langue ; il y a aussi unité de religion ; 33,000 protestans et 30,000 israélites environ sont perdus parmi 24 ou 25 millions de catholiques. Le plus grand nombre des juifs est établi en Toscane et spécialement à Livourne, le plus grand nombre des protestans appartient aux vallées vaudoises du Piémont.

Voici donc les Italiens comptés, groupés et classés selon leur état civil, leur langue et leur religion. Maintenant regardons-les vivre, et avant tout regardons-les voyager. Ce qui nous frappe au premier regard, ce sont leurs émigrations régulières et périodiques. En hiver, les bergers des Alpes et des Apennins descendent dans la plaine, et des peuples entiers vont s’installer dans les maremmes, que n’infeste plus la mal’aria. Rien n’est plus pittoresque et plus intéressant que ces caravanes de laboureurs partant ensemble, leurs instrumens sur l’épaule, sous la conduite d’un chef (caporale) qui les mène chaque printemps ou chaque automne aux mêmes lieux, sur les mêmes terres, et qui recommence d’année en année avec d’autres hommes ce long pèlerinage, jusqu’au jour où, trop vieux pour se remettre en route. il demande à ses compagnons un successeur. Toutes ces populations, surtout celles du midi, sont encore à moitié nomades. Elles ne craignent point les longues courses : on a compté en 1861 2,427 bergers, Abruzzais, Lucains ou Calabrais pour la plupart, qui, ayant traversé à pied la péninsule dans toute sa longueur, franchirent les Alpes avec leurs troupeaux de bœufs, de porcs, de chevaux, qu’ils allèrent vendre à l’étranger. Il n’est pas de grande route en Italie, et peut-être en Europe, où l’on ne