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put contenir sa population ; une nouvelle colonie dut chercher son pain dans un nouveau désert. Ce fut là enfin l’origine du peuple d’Hasli.

Le voyageur qui, après avoir traversé le lac des Quatre-Cantons de Brunnen à Buochs, veut remonter le pays d’Unterwalden, voit s’ouvrir devant lui deux grandes vallées séparées par le Kernwald ou forêt du centre. Celle de gauche, plus étroite, le conduit par des gorges étranglées de loin en loin jusqu’au Titlis. Celle de droite le mène le long des lacs de Sarnen et de Lungern au sommet du Brünig. Quand il approche de cette chaîne, il contemple émerveillé les plus riches plantations qu’ait jetées la nature sur ce pays de forêts. Arbres géans, feuillages variés, disposés avec magnificence le long des rampes largement ouvertes, répandent sur ce versant une sorte de noble beauté. Tout cela s’arrête brusquement à la cime, et sans transition l’on entre de l’autre côté sous les noirs sapins qui ont fait donner son nom à la montagne (Brünig). C’est là le chemin que suivit la colonie nouvelle.


« Une partie d’entre eux se dirigea vers la montagne noire qu’on appelle aujourd’hui le Brünig…

« Ils la traversèrent avec la même confiance en Dieu qu’ils avaient déjà montrée, et descendirent dans la vallée du haut de laquelle s’échappe une eau qu’on appelle l’Aar. Là ils se mirent à labourer de toutes leurs forces.

« Là ils travaillèrent jour et nuit, jusqu’à ce qu’ils eussent construit des cabanes. Ils eurent bien de rudes journées avant que la terre leur rapportât des fruits, ils endurèrent bien des privations. »


Enfin leur seconde épreuve fut couronnée d’un second succès, et l’histoire d’Hasli devint une leçon de courage bien utile à mettre, dit le poète, en langue welche comme en langue allemande.

Le chant de l’Ostfriesenlied est une sorte de grossière Enéide des Suisses. Il raconte, l’histoire de leurs misères, il rapporte aussi leur origine, celle du moins qu’ils se donnent depuis des siècles. Au milieu de cette vallée de l’Hasli, à quelques pas du Handeck, d’où l’Aar se jette furieux et bouillonnant dans la vallée, tout près des glaciers, nous assistons en quelque manière, le chant populaire à la main, à la naissance de cet énergique petit peuple, le premier en date par la liberté. Sans doute l’Ostfriesenlied n’est pas bien ancien, mais la tradition d’où il est né l’est beaucoup plus. De très bonne heure, les cantons primitifs se sont fait de cette origine septentrionale un titre d’honneur et des lettres de noblesse. C’était leur réponse à ceux qui les traitaient de misérables paysans nés dans le servage, échappés à la glèbe par la révolte.