Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le milieu où il existe. Tel saint très respectable et très sincère des anciennes religions ne serait plus aujourd’hui qu’un fou. Le cénobitisme serait l’égoïsme, la paresse, la lâcheté. Nous savons que la vie complète est un devoir, qu’on ne peut pas rompre avec l’instinct normal de la vie spécifique sans rompre avec les lois les plus élémentaires de la vie, et que l’infraction à une loi de l’univers est une sorte d’impiété toujours punie par le désordre des facultés supérieures. La mortification de la chair par le célibat, le jeûne et les flagellations était grossière et charnelle en ce sens qu’elle ne servait qu’à ranimer ses révoltes. En lui imposant des sacrifices, l’esprit tranquille et fort la mortifie surabondamment.

Mais les appétits déréglés, vicieux, immondes, sont-ils donc une loi de l’espèce ? Si certains animaux, en se rapprochant de la forme humaine et du développement de l’encéphale, nous offrent le repoussant spectacle de la lubricité, de la cruauté, de la gourmandise, si l’homme sauvage lui-même, aux prises avec l’animalité, s’imprègne des instincts de la brute, résulte-t-il de cette confusion de limites entre l’homme et le singe que l’instinct humain ne soit pas modifiable ? Il l’est à un point qui frappe de surprise et d’admiration, quand on ne voit que la surface des mœurs civilisées. Le respect d’une convention qui prend sa source dans le respect de soi et des autres est une victoire bien signalée de la volonté sur l’instinct.

Si c’est peu que cette décence extérieure qui, sous le nom de savoir-vivre, voile des abîmes de corruption, c’est déjà quelque chose. La sainteté pourrait consister dès aujourd’hui à identifier la vie secrète et cachée à ces apparences de pudeur, de bonté, d’hospitalité, de raison, qui sont le code de la bonne compagnie. Pourquoi non ? Où est l’obstacle ? Pourquoi toute parole aimable ne serait-elle pas l’expression d’une âme aimante ? Pourquoi toute allure de pudeur ne serait-elle pas la manifestation d’une conscience épurée ? Pourquoi tout simulacre d’obligeance ne prendrait-il pas sa source dans la joie d’assister son semblable ? Pourquoi toute discussion de l’intelligence ne reposerait-elle pas avant tout sur le désir de s’instruire ?

Avoue que, si nous arrivions à marier la politesse parfaite à une parfaite sincérité, nous serions déjà, sans sortir de nos lois et de nos usages, montés à un degré supérieur d’excellente et de joie intérieure.

La joie intérieure, voilà un grand mot ! C’est le premier des biens, parce qu’il est le seul qui nous appartienne réellement. Je ne vois pas que beaucoup de gens s’en préoccupent et le cherchent. La masse court aux satisfactions de l’instinct : les vicieux s’efforcent