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suspendue sur la tête des directeurs de théâtres et dont on les menace dans l’occasion, en leur rappelant qu’ils ne sont point là uniquement pour leur plaisir. Quant à l’exécution littérale., elle n’est pas possible. A pareil régime, ni l’Académie impériale, ni l’Opéra-Comique, ne tiendraient. Chacun sait cela, et la vérité de la situation est que, si les auteurs ont raison de se plaindre de n’être pas joués, les directeurs, sauf certains cas, n’ont peut-être point tort d’agir comme ils font. S’il y a un moyen terme, c’est aux parties intéressées de le chercher dans un arrangement tout amiable comme celui qu’elles viennent de conclure, car, pour ce qui regarde l’autorité supérieure, on sera toujours tenté de lui savoir meilleur gré de son abstention.

Les conditions sociales agissent bien autrement que les conditions administratives sur le développement des lettres et des arts. Les grandes périodes viennent un peu comme le beau temps, sans pouvoir jamais être précisées, et rien n’est plus illusoire que ces prix décennaux et autres récompenses du même genre à l’aide desquelles un gouvernement s’efforce d’encourager les poètes, les peintres, les musiciens, et de susciter des hommes de génie. L’art véritable n’a point de ces préoccupations de lauréat, il crée pour l’amour de Dieu. Le grand empereur lui-même, à ce protectorat, perdit sa peine. On ne décrète pas les chefs-d’œuvre par ordonnance au Moniteur. Dire : Je veux que mon siècle soit une grande époque pour les lettres et pour les arts, autant vaudrait dire : Je veux qu’il fasse beau demain. Lors de la fameuse distribution des prix décennaux sous le premier empire, les membres du jury appelés à se prononcer sur les divers ouvrages composés de 1800 à 1810 déclarèrent qu’ils n’en estimaient aucun digne d’obtenir les honneurs du triomphe ; tout au plus en trouvèrent-ils. un capable d’être distingué. C’était le Tyran domestique d’Alexandre Duval, auquel cependant il manquait, pour obtenir une mention honorable, « de la verve comique, une action bien nouée, un style naturel, et des vers qui fussent harmonieux ! » Excusez du peu ! et tâchez de dire, si vous pouvez, ce qu’avec des restrictions semblables un ouvrage jugé le meilleur du concours pouvait encore avoir de bon ! J’ai tout lieu de craindre que tel concours dont on a fait dernièrement si grand bruit n’ait pas un plus beau résultat. Pour nous en tenir à ce qui concerne l’Académie impériale, sur cent soixante poèmes, il s’en est, paraît- il, rencontré deux tout à fait hors ligne, la Tsarine et le Roi de Thulé. On a choisi le Roi de Thulé. Pourquoi ? Probablement parce que la couleur du sujet répondait davantage aux secrètes prédilections des musiciens dont se composait le jury, MM. Gounod, Victor Massé et Thomas, esprits portés vers une certaine rêverie et que la nuance bleue attire de préférence. Qui sait ? peut-être l’autre poème aurait-il prévalu, si l’on avait eu affaire à des arbitres d’un ordre dramatique plus prononcé, Verdi ou M. Aimé Maillard ou M. Mermet par exemple. Voilà donc dès le début l’illusion qui s’en mêle, et toute une légion de jeunes